lundi 29 mai 2023

Jack London / Croc-Blanc / Ami des animaux et des hommes

 

Deux Jack London Mourier


Ami des animaux et des hommes

par Maurice Mourier
22 novembre 2016

Maurice Mourier, écrivain, poète et critique littéraire à EaN, a dirigé une édition de Croc-blanc (Pocket). Puisant dans ses souvenirs, il choisit un Jack London qui le rattache à la puissance des lectures d’enfance.

Il y a deux London au moins.

L’un coureur des bois et des glaces, ami des animaux, connaissant leur langage. L’autre socialiste, communiste même et militant engagé à l’époque d’une Amérique toute livrée aux soubresauts, pas encore faite ni rassise ni bouffie de puissance.

C’est le premier que j’ai connu d’abord, enfant, une sorte de prolongement plus sérieux des merveilles du Père Castor illustrées par Rojan, que ma mère me lisait dès 1942 puis que je lisais moi-même avant 45, et qui s’accordaient si complètement à une existence libre de petit sauvage en terre lointaine à quarante kilomètres de Paris (mais la guerre mettait alors la ville à part de toute autre terre habitée). 

Alors Croc-Blanc et la folie de Loup Larsen et Jerry dans l’île. Bref, L’Appel de la forêt, et de la mer. 

Près d’une demi-siècle plus tard, quand je préparais mon édition de Croc-Blanc pour « Lire et Voir les Classiques » (Presses Pocket, 1990), je découvris avec effarement que les traductions de la Bibliothèque Verte, qui avaient nourri mon ivresse étaient affreusement fautives, amputées de ces passages politiques et moralisateurs à la fois qui sont pourtant ce qui, dans son texte, importait le plus à London. 

Tant pis, un livre qui tient, dépenaillé ou non, est fait aussi, surtout de l’effet qu’il induit plus ou moins involontairement (les histoires, souvent si pauvres, de la Bible, n’ont-elles pas fait rêver des générations, même si elles sont restées pour quelques-uns, dont je suis, lettre morte ?) 

En tout cas, London est resté pour moi auteur de jeunesse. Tant mieux, je crois. Comme Kipling, c’est par là seulement qu’il n’a pas vieilli.

 

Maurice Mourier 

Dernier livre paru : Par une forêt obscure, L’Ogre.


Retrouvez notre dossier sur Jack London en suivant ce lien.





jeudi 25 mai 2023

Alain Fleischer / Angoisses infiniment petites




Angoisses 

infiniment petites

par Maurice Mourier
28 avril 2021

Deux livres d’Alain Fleischer coup sur coup, produits peut-être du confinement car ils correspondent, l’un comme l’autre, à des tentatives de divertissement. Le premier, La vie extraordinaire de mon auto, paru en janvier (aux éditions Verdier), est carrément ludique. Le second, paru en février dans la collection « L’Infini » de Philippe Sollers, rassemble des nouvelles sous le titre, justement, de Petites histoires d’infinis.


Alain Fleischer, Petites histoires d’infinis. Gallimard, coll. « L’Infini », 162 p., 16 €


Du premier, il semble qu’il n’y a pas grand-chose à dire. C’est une aimable pochade mettant en scène une auto magique à transformations, prétexte à des emballements érotiques – une constante dans l’œuvre d’Alain Fleischer – tout de même assez répétitifs. Petites histoires d’infinis est bien plus ambitieux et réussi. Ses vingt-cinq nouvelles, dont certaines ultra courtes, s’efforcent parfois un peu trop, à notre goût, de répondre à un cahier des charges fixé dans l’avant-propos : écrire des pièces brèves qui toutes s’achèvent sur un sentiment d’infini absolument non mystique mais inscrit dans la quotidienneté d’un narrateur n’ayant comme nous tous pour horizon que le néant de la mort. Ne risque-t-on pas, par cette acceptation d’une contrainte, de s’inscrire docilement dans le programme forcément rassembleur d’une « collection » ?

Mais je m’inquiète à tort. L’écriture de Fleischer n’est jamais docile. Même si quelques-uns des textes proposés, paradoxalement les plus courts, alors que l’auteur déclare avoir recherché le choc de la surprise dans des effets de fulgurance, n’ont que des chutes très attendues, le grand anxieux qu’est le meilleur Fleischer se retrouve partout dans des morceaux d’une inquiétante étrangeté.

Dans nombre de morceaux, en fait, composant ce puzzle des angoisses sans cause, purement métaphysiques, dont le prototype est « Reflet dans un seau d’eau », où un couple silencieux, en visite touristique dans une nécropole étrusque, expérimente l’angoisse de n’être rien d’autre qu’un duo de faux vivants, semblables aux défunts évoqués par Ulysse dans sa descente aux Enfers homériques.

Non que ces références culturelles explicites figurent chez Fleischer – je les utilise parce qu’un critique, pour se faire entendre, use parfois de gros sabots. Au contraire, l’inducteur d’abîmes, dans le texte, n’est que le bruit familier d’un avion prêt à atterrir sur l’aéroport de Fiumicino, et dont les phares se reflètent dans l’eau d’un seau en bois, près de la table d’une taverne.

Petites histoires d’infinis : des nouvelles d'Alain Fleischer

Alain Fleischer (avril 2021) © Jean-Luc Bertini

La force du passage, née de la simplicité des moyens littéraires employés, s’affirme là, souveraine. C’est celle d’une poésie née, comme celle de Lautréamont, et plus tard de Breton, du rapprochement impossible de deux objets, une lueur ponctuelle et fugace déposée sur un miroir banal et la présence troublante du champ infini des morts, entre lesquels éclate « l’explosante fixe » de la révélation.

Il suffit de l’occurrence de deux ou trois images aussi parfaitement insolites pour illuminer un livre. Et on en repèrera bien plus de trois dans ces Petites histoires. Prenons par exemple la nouvelle « La clé ». Le narrateur qui dit « Je » et se confond avec l’auteur y fait retour sur ses origines juives et hongroises, ce qui chez Fleischer est toujours prélude à l’excellence littéraire. Possesseur d’une clé hors d’usage, il finit néanmoins par découvrir à l’étranger la serrure qu’elle ouvre et ainsi parvient à jouer pour une jeune fille inconnue, dans le salon d’un hôtel de Marienbad, la Sonate n° 8 de Schubert sur un vieux piano Steinweg qui a appartenu jadis à une dame Magda Kálmán, qui fut son professeur à Budapest. Enchaînement de hasards, résurrection d’une fée ancienne en silhouette féminine moderne, splendeur d’une apparition.

L’extrême talent de Fleischer, qui rend tout cela plausible, se déploie dans ce mince chef-d’œuvre qui rappelle la délicatesse de touche de quelque conte d’Hoffmann : jeux de l’imaginaire, présence quasi tangible du rêve éveillé qui s’épanche dans la vie réelle, qualité d’une nostalgie redonnant toute sa chaleur au révolu en évitant apitoiement sur soi et complaisance envers un passé évanescent mais incrusté à jamais dans les choses mortes.

Presque tout repose pourtant dans ce livre, contrairement à ce qu’on pourrait croire, non sur le vague des sensations ou le vaporeux des apparitions de réminiscence, mais sur un fond de réalisme, ces courtes pièces sachant mêler sans discordance le souvenir peut-être vécu et l’invention qui s’y greffe, les inondant de sa force émotionnelle. Une observation objective a en effet toute sa place dans les tableautins créés par Fleischer (voir par exemple l’acuité du portrait qu’il trace d’un tigre dans un zoo).

Mais cette richesse et cette rigueur de l’observation ne la rendent pas naturaliste, elle implique trop profondément celui qui regarde dans la chose ou dans l’être regardé. Ainsi, le tigre peint ne saurait figurer dans aucune des Histoires naturelles de Jules Renard, car le but de la représentation, ici, n’est jamais la sécheresse exacte du coup de crayon fixant sur le papier la créature comme un papillon mort sur une planche de collectionneur. La prose de Fleischer ne fait pas appel à la vertu supposée de l’impersonnalité en art. Ou plutôt l’impersonnalité lui est foncièrement étrangère et même antipathique. On ne va pas jauger un tigre de l’extérieur, mais s’interroger sur « moi et le tigre », une façon, certainement, d’accueillir avec la même empathie presque tous les vivants (voir encore « Un chien »).

Tous les vivants, sauf cette catégorie méprisable d’humains que constituent les criminels et les bourreaux, parmi lesquels je crois qu’on peut ranger les directeurs de zoos, comme le montre un autre conte animalier, fantastique celui-là, une des merveilles de ce livre qui en contient beaucoup et recèle notamment en ses pages 144-156 le jubilatoire « Rire de l’orang-outan ».

Impossible de donner une idée plus détaillée de chacune des petites boîtes à malices contenues dans ces histoires, ce serait les dépouiller de leur verve apparemment ingénue et de leur réelle profondeur. Il suffit de les donner à lire, ce que je fais ici, sans aucune modération.

EN ATTENDANT NADEAU



samedi 20 mai 2023

La Lune n’est pas un objectif

 

Vue de la Lune, de Günther Anders : la Lune n'est pas un objectif

Décollage de la fusée Saturn V emportant l’équipage de la mission Apollo 11 (16 juillet 1969) © CC0/NASA

La Lune n’est pas un objectif

par Odile Hunoult
20 mai 2023
7 mn

Visionnaire, le philosophe Günther Anders (1902-1992) ? Son originalité peut être mise en parallèle avec la marginalité de son parcours : il n’intégrera jamais l’université (à l’inverse d’Einstein), privilégiant l’urgence de ses engagements sur la recherche d’une carrière. La praxis avant la théorie : ses tribulations biographiques et ses engagements, contre le nucléaire, contre la guerre du Vietnam, fécondent sa réflexion théorique et garantissent l’efficacité de son travail philosophique, qu’il définit comme une philosophie de la technique, plus précisément une « anthropologie philosophique à l’époque de la technique », plus précisément encore à « l’époque de l’autodestruction du monde rendue possible par les moyens NBC » – Nucléaires Biologiques Chimiques.

 

Günther Anders, Vue de la Lune. Réflexions sur les vols spatiaux. Trad. de l’allemand par Annika Ellenberger, Perrine Wilhelm et Christophe David. Préface d’Alexandre Chollier. Héros-Limite, coll. « géographie(s) », 224 p., 24 €

 

Tous les thèmes et les réflexions de Vue de la Lune, publié treize ans après le premier tome de son œuvre majeure, L’obsolescence de l’homme, et dix ans avant le second,  en sont l’illustration par une expérience précise universellement connue. « Je suis toujours parti des faits empiriques », écrit Anders – « [les raisonnements développés ici] relèvent d’une “philosophie de l’occasion” parce que je suis parti d’expériences précises », écrit-il dans la préface du deuxième tome de L’obsolescence de l’homme.

L’occasion, pour Vue de la Lune, c’est dans sa première partie, écrite en 1962, la mise en orbite d’hommes dans l’espace, et dans la seconde, datée de 1969, l’alunissage d’Apollo 11. Événements « historiques ». Leur « historicité » fera du reste l’objet de réflexions sarcastiques qui sont la marque d’Anders. À partir d’un fait politique : après le débarquement raté de la baie des Cochons en 1961, la décision prise par J. F. Kennedy que le prochain challenge, « race », offert en pâture au rêve de ses « fellows », les citoyens des États-Unis, sera d’envoyer des hommes sur la Lune – et, à partir des faits techniques qui en découlent, les exploits des cosmonautes et leur retransmission télévisée, Anders reconstitue notre monde occidental dans tous ses rouages imbriqués, techniques, politiques, économiques, sociaux, psychologiques, linguistiques, moraux, religieux et philosophiques. C’est minutieux et magistral.

« Ô Corneille Agrippa, l’odeur d’un petit chien m’eût suffi / Pour décrire exactement tes concitoyens de Cologne » (Apollinaire, « Cortège »). C’est, pour employer une métaphore médicale, la description organe par organe des maladies provoquées dans tous les domaines par le développement de la technique, y compris le domaine de la pensée, jusque dans les concepts de l’espace et du temps. Les maladies : disons, pour rester neutre, les modifications – mais la maladie est une modification. Comme les organes fonctionnent entre eux, le travail d’Anders, qui se fait une gloire de ne pas bâtir un système, est d’une redoutable cohérence. « Je dirai que mes recherches ne sont pas dénuées de “systématicité”. La cohérence de l’ensemble n’était certes pas prévue : c’est plutôt d’une “systématicité après-coup” qu’il s’agit. »

Vue de la Lune, de Günther Anders : la Lune n'est pas un objectif

Deux membres de la mission Apollo XII s’entraînent à ramasser et à photographier des échantillons de sol lunaire (6 octobre 1969) © CC0/NASA

Le stupéfiant, c’est que, cinquante ans après, il soit difficile d’objecter quelque chose à ses théories, à la lumière même des développements ultérieurs de la technique. Qu’on en juge : « Rien ne nous aliène à nous-mêmes et ne nous aliène le monde plus désastreusement que de passer notre vie, désormais presque constamment, en compagnie de ces être faussement intimes, de ces esclaves fantômes que nous faisons entrer dans notre salon d’une main engourdie par le sommeil – car l’alternance du sommeil et de la veille a cédé la place à l’alternance du sommeil et de la radio – pour écouter les émissions au cours desquelles, premiers fragments du monde que nous rencontrons, ils nous parlent, nous regardent, nous chantent des chansons, nous encouragent, nous consolent […] et, nous détendant ou nous stimulant, nous donnent le la d’une journée qui ne sera pas la nôtre. Rien ne rend l’auto-aliénation plus définitive que de continuer la journée sous l’égide de ces apparents amis : car ensuite, même si l’occasion se présente d’entrer en relation avec des personnes véritables, nous préférons rester en compagnie de nos portable chums, nos copains portatifs, puisque nous ne les ressentons plus comme des ersatz d’hommes mais comme de véritables amis ». Günther Anders écrit ce texte en 1956 dans le premier tome de L’obsolescence de l’homme. La radio, c’est le seul mot ici qui pourrait renvoyer ce texte au passé.

Oui, Anders est un visionnaire et, comme tel, il acquiert lentement l’importance que la puissance prophétique de ses analyses lui vaudra : il semble, c’est même un truisme, que l’importance, la justesse, la portée, l’intérêt, les implications d’une pensée, sont proportionnels au temps qu’il faut pour en prendre la mesure, et que cela ne soit, pour la masse des contemporains, perceptible, compris, efficient, qu’a posteriori. Voir combien de temps il a fallu pour que le géocentrisme soit entièrement abandonné. En corollaire, tout ou presque tout ce qui est célébré au jour le jour comme « important », « historique » « inoubliable », n’est que publicité ou promotion, destiné dans presque tous les cas à être balayé. Étrangement, on n’approche des novateurs qu’à reculons.

Vue de la Lune, de Günther Anders : la Lune n'est pas un objectif

Les sachets-repas des astronautes de la mission Apollo XVI présentés par la physiologiste Rita Rapp, pionnière de la nourriture spatiale (janvier 1973) © CC0/NASA

Il y a la description clinique, le diagnostic et le pronostic. « L’essence à laquelle nous sommes condamnés, n’est pas notre “nature humaine”, mais un état artificiel, un état dans lequel nous les hommes, nous nous sommes mis nous-mêmes – ce dont nous n’avons été capables que parce que notre nature inclut paradoxalement la capacité de changer et notre monde – non pas seulement notre monde, mais le monde – et nous-mêmes. » Bien sûr, dans Vue de la Lune, il s’agit d’un cas extrême de ce qu’Anders appelle « human engineering » : les modifications subies par des cosmonautes pour pouvoir être lancés dans l’espace et en revenir sains et saufs (être lancés, la forme passive n’est pas anodine), et les implications en miroir sur les téléspectateurs à qui on offre en direct ces exploits. Un « direct » longuement interrogé par Anders : le monde est devenu image (1).

Du cas des cosmonautes entraînés et modifiés pour servir les machines, cas extrême en effet, Anders fait un missile qui explose dans toutes les directions. Prenons seulement la question de la consommation de masse, devenue paradoxalement aussi individuelle et isolée que faire se peut, chacun dans son coin recevant les produits à consommer, comme un animal de zoo à qui on remet sans cesse une pâtée dans sa cage. Dans ce cas aussi, l’homme est au service de la machine à produire : Anders nous montre les populations dressées à « manger » sans fin et sans faim des « produits » de plus en plus inutiles, à usage unique (à l’image de la nourriture) ou en tout cas à durée déterminée, la plus courte possible. Car sans certaines « faims », pour la plupart créées et entretenues artificiellement par la publicité, la machine à produire cesserait de tourner. Y a-t-il une faille, une possibilité de résistance ? Celui qui voudra résister n’est pas oublié, il sera gavé lui aussi, au-delà de ses besoins, de tout ce qu’il faut pour se retirer dans un lieu écarté où l’on ait la liberté d’être rebelle. Anders cite Huxley et Le meilleur des mondes : « La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans mur dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader et où les esclaves auraient l’amour de leur servitude ». La « terreur douce de la publicité » est un des corollaires de l’obsolescence de l’homme : « Nous sommes devenus ce que la publicité nous fait “manger” ».

Vue de la Lune, de Günther Anders : la Lune n'est pas un objectif

Empaquetage d’un sachet-repas de nourriture spatiale (2011) © CC0/NASA/Bill Stafford

Plus la technique se perfectionne (et, dans le cas des cosmonautes, la perfection est vitale), plus elle devient irréversible, fermant toutes « les routes du retour ». Et plus elle est efficace, plus elle est menaçante. Dans Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ?, Anders décrit son effroi d’enfant de quinze ans voyant en 1917, posés dans une gare, attendant leur train, des hommes-troncs. Ces soldats amputés jusqu’aux hanches étaient produits par le miracle technique des armes de guerre perfectionnées. Le monde que nous produisons est devenu « le monde qui nous produit ».

Anders donne le diagnostic mais pas le traitement. Pour Fahrenheit 451 de Bradbury, en 1953, le salut venait de la résistance de lecteurs résiduels. Dans son « roman » La catacombe de Molussie, Günther Anders semble miser sur l’enseignement transmis par des esprits non contaminés. Mais ce livre reste inachevé. Comment s’achèvera l’ère du technico-centrisme ? Quel grain de sable providentiel pourrait arrêter ou inverser le processus, quel magicien proférant un « ça suffit » définitif libérerait l’apprenti sorcier ? Le grain de sable providentiel ou le miséricordieux maître magicien pourrait prendre la forme d’une « bonne » grosse météorite à l’ancienne, ou – et c’est le pronostic d’Anders, et ce contre quoi il consacre sa vie à lutter – un fiat lux nucléaire à la moderne.

Vue de la Lune, de Günther Anders : la Lune n'est pas un objectif

Wernher von Braun pose devant le premier étage de la fusée Saturn V et ses cinq moteurs F-1 de plus de 5,5 mètres de haut © CC0/NASA

Anders se veut et est un philosophe moraliste. Il clôt Vue de la Lune par une annexe, « À propos de Wernher von Braun », où il montre avec une ironie vengeresse von Braun célébré partout comme le héros de la conquête de la Lune. Grâce à « l’intérêt », à la « portée », aux « implications » et aux applications a posteriori de ses fusées V1 et V2 destinées à dévaster Londres (quand il était ingénieur au service des projets de Hitler à Peenemünde), « mises au service du plus offrant » et reconverties à la NASA, von Braun est généreusement, chrétiennement, pardonné parce qu’utilisable, et quasi sanctifié y compris dans les pays qu’il avait été payé pour détruire.


  1. À rapprocher d’un chapitre des Luttes de classes en France au XXIe siècle où Emmanuel Todd évoque le problématique formatage précoce des cerveaux par les images d’écrans. Tout pessimiste que soit le constat, l’ironie de Todd a une alacrité qui la différencie de celle d’Anders, glaçante et désespérée.

EN ATTENDANT NADEAU




mercredi 17 mai 2023

François Laroque / Dictionnaire amoureux de Shakespeare

 




Connaître et apprécier Shakespeare

par Maurice Mourier
17 mai 2016


Dans Les Enfants du paradis de Jacques Prévert et Marcel Carné, Frédéric Lemaître, qui deviendra vers 1850 le plus flamboyant des acteurs du romantisme, est confronté comme débutant à l’ignorance crasse du directeur du Théâtre des Funambules, temple du mime, qui ignore jusqu’au nom de Shakespeare et se moque du garçon désargenté venu lui proposer ses services : « Shakespeare, connais pas ! Et vous, qui vous connaît, qui vous apprécie ? »



François Laroque, Dictionnaire amoureux de Shakespeare, Plon, 918 p., 27 €.


Le dictionnaire de François Laroque qui se comporte en « amoureux fervent » plus qu’en « savant austère » de son auteur, pour le grand plaisir du lecteur, offre évidemment une entrée « Carné », où est fait le sort qu’elle mérite à la formidable interprétation de Pierre Brasseur en Frédéric Lemaître toute sa vie hanté par le personnage d’Othello auquel seule une bouffée tardive de jalousie en présence de Garance amoureuse de Baptiste permet enfin d’accéder à la démence du Maure assassin de l’innocente Desdémone. Et l’amoureux du Grand Will n’aurait garde non plus d’oublier d’autres comédiens de génie, Laurence Olivier en Hamlet et surtout Orson Welles, Falstaff prodigieux de Chimes at midnight (1966).

Mais à dire le vrai François Laroque n’oublie rien de ce qui concerne son héros, et pousse le scrupule, tout en adhérent pleinement à la biographie « autorisée » qui fait du barde pétri de culture latine un roturier fils d’un riche artisan gantier de Stratford-upon-Avon, jusqu’à laisser une place aux théories farfelues qui n’ont pas manqué d’attribuer ses pièces à nombre de gens titrés plus susceptibles d’avoir du génie que ce Monsieur Hochepoire comme disait Jarry. Le goût du complot est si bien partagé que Dominique Goy-Blanquet, éminente spécialiste du théâtre élisabéthain et quelques autres ont encore dû, tout récemment, faire pour la Nième fois justice de ces billevesées.

Le bonhomme reste pourtant suffisamment mystérieux pour nourrir les fantasmes. N’y a-t-il pas, dans sa vie, un trou de sept années entre le moment où il quitte sa province, sa femme et ses enfants (en 1585, il a 21 ans) et celui où il apparaît à Londres, en 1592 ? Dès lors, il ne quittera plus la lumière : membre et actionnaire de la troupe des Comédiens du Chambellan, puis auteur dont les pièces seront jouées au fameux Théâtre en rond au toit de chaume du Globe qui brûlera en 1613 et sera aussitôt reconstruit en dur, Shakespeare au cours de sa carrière a amassé une fortune. C’est cette année 1613 précisément, à quarante-neuf ans, qu’il prend sa retraite, pour rentrer à Stratford, où il mourra trois ans plus tard.

Les années inconnues de la formation au métier du théâtre ne sont du reste pas les seules à ne pas être documentées. On ne sait presque rien non plus de son enfance, et puis comment rendre compte d’une production aussi frénétique (38 pièces, deux longs poèmes narratifs, et les 154 sonnets dédiés à un Monsieur W. H. dont l’identité n’a pu être établie avec certitude) ? Shakespeare, c’est un monde foisonnant d’étrangetés, depuis les tragédies gore des débuts, qu’on peut ne pas aimer – c’est mon cas – jusqu’à cette Tempête testamentaire qui n’est pas l’œuvre ultime – c’est Cardenio, écrite en 1613 et perdue – mais qui, toute entière consacrée à la magie du théâtre et à la « mise en scène » machinée par Prospero, constitue pour certains – dont je suis – le chef-d’oeuvre des chefs-d’œuvre et peut-être la plus belle pièce baroque, de facture classique, qui soit au monde.

À propos de Tempête, j’ai un souvenir délicieux de certain séjour à Ajaccio, qui aurait été bien long si je n’étais tombé, dans une maison où il y avait peu de livres, sur le texte de la pièce en anglais dépourvu de notes. Comme je ne disposais pas de dictionnaire, j’ai lu, essayé de comprendre ce texte fantastique et inspiré et cru y parvenir. Le sentencieux magicien Prospero, qui transcende sa fonction de père noble et ses instincts de vengeance (thème shakespearien par excellence : ce théâtre est violemment pessimiste) par le plaisir presque naïf qu’il prend à ourdir le filet de sortilèges où se prendra l’affreux trio de ses ennemis (Antonio, Sébastien, Alonso), quel rôle ! Et la ravissante Miranda sa fille (elle est un peu gourde, il faut qu’elle soit ravissante, qui sait si son amour pour Ferdinand n’implique pas que son « caractère peut changer » comme l’espère Michaux de celui de Plume menacé de perdre un doigt) !

Mais rien n’égale en merveilleux le couple antagonique, et pourtant si Janus Bifrons, Ariel /Caliban ! On ne se lasse pas des chansons de l’Esprit de l’air, mais on communie avec Caliban dans une haine à la Spartacus à l’égard de son maître. Prospero a chargé ses deux créatures des chaînes de l’esclavage, on croit que la brute contrefaite est la plus méprisable, mais elle n’est pas assez bornée toutefois pour accepter son joug du cœur léger d’un Ariel sans cervelle.

Ce qui est fascinant dans Shakespeare, c’est l’insondable ambiguïté. Et je me rengorgeais de l’avoir mieux saisie, à l’état naissant en quelque sorte, par une immersion sans scaphandre dans le texte coton à souhait du vieil anglais retors qui, au mitan de l’horrible siècle des guerres de religion, quand le triomphe local des parpaillots mettait en charpie le catholicisme résiduel, était peut-être bien papiste, mais la chose est plus conjecturale qu’avérée. Pauvre de moi !

Maint lecteur fera son miel de tel ou tel article ou articulet du dictionnaire de François Laroque, découvrira les tréfonds et les doubles fonds de pièces qu’il n’a jamais vues sur scène, ou peut-être même jamais lues – tiens ! Peines d’amour perdues par exemple, ou bien Jules César. Il y a à grappiller partout, même si je conseille vivement de lire la totalité du livre en commençant par le début, c’est un peu long mais jamais ennuyeux, et instructif assurément, je l’ai éprouvé pour ma part, si on veut, à mes dépens.

Pauvre de moi en effet ! Car il ne suffit pas de connaître – de croire connaître – un peu d’anglais ancien. Savoir, constater par l’exemple que Shakespeare est un monstre de perversité, un as du jeu de mots à triple entente, voilà pour moi la révélation majeure apportée par la science linguistique de François Laroque. Pensez-vous qu’il soit anodin d’apprendre que le titre Much Ado about Nothing, dont on a toujours cru qu’il voulait dire innocemment « Beaucoup de bruit pour rien », prend un tout autre éclairage si « nothing », dans l’argot (distingué) d’époque, vaut pour « sexe féminin », dans sa matérialité physique d’objet de désir veux-je dire ? Mais « Will », abrégé du prénom de l’auteur (William), qui signifie « volonté », vaut aussi pour « pénis » et du reste, en autre contexte, pour « callibistris » aussi bien, le mot de Rabelais pour « con », ce Rabelais si français dont l’influence sur Shakespeare, autre « détail » que j’ignorais, a été profonde.

Les Elisabéthains, comme tous les affolés/affriolés des monothéismes ravageurs, étaient de sacrés pourceaux d’Epicure, démontre François Laroque. Mais Shakespeare, dont toutes les pièces, même les plus tragiques, les plus nobles, regorgent de sous-entendus facétieux, salaces, scatologiques, en somme hautement déviants et subversifs, était le plus cochon de tous, grossier, violemment obscène même, jamais vulgaire néanmoins, car la vulgarité, le plus souvent mâle, cette horreur, s’oppose à la grossièreté décapante comme la vinasse au vin clairet.

On comprend, à la lecture du livre emballant de François Laroque, que la question épineuse du comment traduire le barde y soit abordée en plusieurs lieux avec une dilection évidente. On comprend aussi qu’on ne comprend rien à Shakespeare si on n’est pas un angliciste confirmé. Mais ça ne fait rien. Car la magie du théâtre, vous le savez bien comme moi, ça ne passe pas seulement par les mots. Sinon, aurait-on goûté un bout du Mahâbhârata joué en cambodgien dans une salle au public de paysans à Siem-Réap (c’était avant les Khmers de sang) ? Aurait-on goûté Kantor, le plus grand « magnétiseur » de la scène comme aurait pu dire Breton, sans savoir un mot de polonais ? Vous voyez bien…


Retrouvez notre dossier consacré à William Shakespeare en suivant ce lien.




lundi 8 mai 2023

La Fontaine le vengeur

 




La Fontaine le vengeur

Il y a des gens qui trouvent La Fontaine facile, d’autres peut-être même qui croient encore que c’est un auteur pour l’enseignement primaire, un donneur de leçons puériles, d’autres enfin – que la peste les patafiole ! – qui n’ont retenu du surréalisme que les présomptueuses sottises d’Aragon au début de son Traité du style, qui croit malin, lui le futur poète académique chantre du stalinisme, de se moquer du laudateur des Anciens. Mais tous ceux qui savent que La Fontaine est avec Molière le génie accompli du temps de la sinistre monarchie absolue considèreront ce livre comme le monument qu’il est en l’honneur du critique le plus subtil, le plus profond, le plus mordant de cette forme primitive (en France), paternaliste et sacerdotale, du totalitarisme.


Jean de La Fontaine, Fables. Préface d’Yves Le Pestipon. Édition de Jean-Pierre Collinet. Gravures et dessins de Grandville. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1 198 p., 49,90 € jusqu’au 30 septembre 2021


Jean de La Fontaine


On dispose naturellement ici, dans une solide édition – fort intelligemment introduite, sur le mode facétieux et sans avoir l’air d’y toucher, par Yves Le Pestipon – de la totalité des fables (environ 250), y compris celles publiées à titre posthume, soit après 1695 (soixante-quatorze ans, c’est un bel âge pour mourir en ce temps-là) ainsi que les rares que La Fontaine a écartées. Importante masse que complètent les discours célèbres (à Mme de la Sablière sur la sensibilité animale et contre Descartes, au duc de La Rochefoucauld, qui reprend les conclusions du précédent) et quelques contes tirés d’Ovide, dont le superbe Philémon et Baucis, qui me semble plus parfait en français qu’en latin.

Les Fables de La Fontaine en Pléiade : La Fontaine le vengeur

Fables de La Fontaine en images lumineuses, par Kate Wolff (1935). Compositions de Lalouve © Gallica/BnF

Quand on a relu tous ces textes, les très connus – autour d’une centaine – et ceux qu’on avait oubliés, il s’en faut de très peu qu’on ne conclue, comme Mme de Sévigné, grande amie du poète mais aussi excellente juge en matière de littérature, que tout est bon dans La Fontaine, qu’il n’y a rien à jeter. Si le souci principal du fabuliste est de plaire, en tout cas on ne s’ennuie jamais avec lui car il est rarissime que la verve du bonhomme faiblisse. Mais sa poésie incroyablement agile va bien plus loin. L’acuité de sa vision, qu’il épingle en quelques mots grands de ce monde, courtisans, bourgeois ou manants, est telle qu’on a le sentiment, de sa part, non seulement d’une curiosité mais d’une compétence universelles en matière d’enquête qu’on dirait aujourd’hui sociologique.

Malgré les références et les emprunts à Ésope, à Phèdre, et aux auteurs divers issus du fonds antique ou oriental, l’héritier d’une charge des Eaux et Forêts, bien qu’il ait été assez tôt protégé puis entretenu par des personnages de la haute finance (Fouquet, condamné par Louis mais jamais abandonné par l’ami fidèle qu’était La Fontaine) et de la noblesse (diverses dames, dont la duchesse douairière d’Orléans, veuve du frère de Louis XIII, Mme de la Sablière, Mme d’Hervart) est un des rares écrivains majeurs du siècle qui ait exercé un vrai métier, et connu réellement les diverses « conditions » de ce monde hiérarchisé à l’extrême, foncièrement inégalitaire.

Parcourant les diverses strates de la société, La Fontaine dans ses tournées ne peut pas ne pas constater les tares d’un système où les pouvoirs (royal, seigneurial) sanctifiés par l’Église pressurent à qui mieux mieux la paysannerie et la bourgeoisie. Et comme il possède un tempérament « inquiet » (il le confesse à plusieurs reprises), en somme le contraire de celui d’un indifférent, il se range le plus souvent, sous le couvert commode des animaux, du côté des opprimés contre les oppresseurs et profiteurs de tout ordre. « Selon que vous serez puissant ou misérable… »

Les Fables de La Fontaine en Pléiade : La Fontaine le vengeur

Fables de La Fontaine en images lumineuses, par Kate Wolff (1935). Compositions de Lalouve © Gallica/BnF

Certes, cela n’en fait en rien un pré-révolutionnaire, d’abord à cause de son engagement personnel, intéressé mais aussi affectif, auprès des « petits souverains ». Ses amitiés aristocratiques vont aux familles ayant trempé dans la Fronde, c’est-à-dire à des hobereaux fort peu « démocrates » (le mot n’existe pas, il serait anachronique) mais soucieux de leurs privilèges, que l’administration royale s’emploie à contenir, notamment en parquant à Versailles cette valetaille titrée. Mais La Fontaine est avant tout un cœur sensible, pas seulement un « bonhomme » comme on le surnomme mais un homme bon, et partout il déplore l’excès, la violence et préfère la paix, alors que le régime, de plus en plus conquérant à mesure que le roi dit abusivement « Soleil » renforce sa mainmise et vieillit, n’adore que la guerre et la gloriole qui finiront, une génération après la mort du fabuliste, par ruiner le pays.

On ne saurait être en vue, sous un monarque adulé et orgueilleux comme un pou, sans encenser les Grands. Il y a donc chez La Fontaine des éloges convenus des entreprises militaires du roi très chrétien fauteur de massacres. Mais l’esprit subversif du poète, qui existe bel et bien, est à chercher justement dans les fables, et cela dès les six premiers livres, publiés en 1668 (l’auteur a déjà quarante-sept ans, c’est un barbon, mais nombre de textes ont circulé bien avant).

Les Fables de La Fontaine en Pléiade : La Fontaine le vengeur

Fables de La Fontaine en images lumineuses, par Kate Wolff (1935). Compositions de Lalouve © Gallica/BnF

Ainsi, prenez la sixième fable du Livre I, La génisse, la chèvre et la brebis, en société avec le lion. Nos bons maîtres la condamnaient pour absurdité zoologique. Il est en effet curieux d’associer trois herbivores au carnivore en chef pour le partage d’une chasse au cerf. Mais foin de l’exactitude scientifique ! La Fontaine savait bien que les brouteuses de prairies ne mangent pas de viande. Ce qui lui importait, c’était de confronter l’innocence au parangon de la prédation et de placer son concetto, sa « pointe » vengeresse, dans l’octosyllabe final. Car, lorsque vient le moment de la mise en œuvre effective du contrat initial, le lion déclare sans ambages, après s’être attribué d’office les trois premières parts, en vertu de ses « droits » princiers : « Si quelqu’une de vous touche à la quatrième, / Je l’étranglerai tout d’abord. »

Voilà qui est net. Le lion, c’est le roi, toute exaction lui est permise. Bien plus, c’est un sauvage sans cervelle, dont la seule raison d’être, le seul mode de fonctionnement, est le meurtre. Formidable parole ! Qu’on y prenne garde, en repérant, de fable en fable, toutes les occurrences de Sa Majesté léonine. Sauf quand le roi est saisi in extremis, mourant, et, devenu inoffensif, reçoit (Livre III, fable 14) le coup de pied de l’âne, on ne trouvera nulle part dans les fables l’image d’un souverain qui soit plus qu’une brute stupide et vaniteuse. Une brute suffisamment cruelle pour accepter comme parfaitement naturel que, sur le conseil du courtisan renard, on écorche le loup (dont le lion fera son souper) afin de le couvrir de « la peau / Toute chaude et toute fumante » du malheureux, et ainsi de combattre la goutte du roi des animaux (Livre VIII, fable 3, 1678).

On comprend que Louis XIV n’ait que modérément apprécié La Fontaine et renâclé avant d’entériner son élection à l’Académie française (1684). Mais en réalité l’horreur qu’inspirent au poète le pouvoir et ses abus s’étend à toutes les puissances, du seigneur local bâfreur et libertin qui ravage la propriété d’un de ses fermiers sous le prétexte de le débarrasser d’un lièvre (les manants ne jouissant pas du droit de chasse) au financier cousu d’or, à l’usurier, au juge toujours corrompu. Je me suis toujours étonné que l’on fasse ânonner à des bambins la terrible fable 10 du Livre I, Le loup et l’agneau, en l’adoucissant en bluette champêtre, alors qu’il suffit de la jouer en y mettant les tons pour voir aussitôt se profiler derrière le loup la silhouette de nabot du Reichsführer Himmler.

Les Fables de La Fontaine en Pléiade : La Fontaine le vengeur

Fables de La Fontaine en images lumineuses, par Kate Wolff (1935). Compositions de Lalouve © Gallica/BnF

Ce n’est pas le moindre mérite de cette très belle édition que de fournir les preuves visuelles, via la reproduction impeccable de ses dessins (un par fable, édition Fournier, 1837-1840), que Grandville a très bien compris la violence subversive des Fables et leur caractère dénonciateur des salauds et des méchants. Chaque fois qu’il s’agit de croquer ceux-ci dans leur bassesse furibonde (voir le lion de la page 54, le loup de la page 69, le léopard vautré de la page 715, le vieux chat tueur de souris de la page 770), il abandonne la caricature plaisante et produit de terrifiants portraits de brigands couronnés, servant au mieux le vrai, le grand La Fontaine.

EN ATTENDANT NADEAU