vendredi 22 juin 2018

Mort de Stéphane Audran, élégante énigme du cinéma

Stèphane Audran, comédienne fétiche de Claude Chabrol

Mort de Stéphane Audran, élégante énigme du cinéma


Jacques Morice
Publié le 27/03/2018. Mis à jour le 28/03/2018 à 10h25.


Comédienne fétiche de Claude Chabrol, elle tourna également avec Luis Buñuel ou Bertrand Tavernier et fut l’inoubliable cuisinière du “Festin de Babette”… Sophistiquée, mystérieuse et suprêmement séduisante, Stéphane Audran s'est éteinte ce mardi 27 mars 2018. Elle avait 85 ans.
On ne sait si les jambes de Stéphane Audran étaient aussi coûteusement assurées que celles de Cyd Charisse. Mais elles l’auraient mérité. Claude Chabrol, son pygmalion, ne manquait jamais une occasion de les filmer pour les sublimer. Sa sensualité tenait aussi au miel de sa peau, au grain de beauté sur sa joue. Bref, Audran à l’écran faisait monter d’un coup la température. Elle était le corps érotique de la Nouvelle Vague. D’autres actrices de l’époque pouvaient être affriolantes, mais c’était différent – Bernadette Lafont était plus jeune, dans un registre plus badin. Le sex-appeal de Stéphane Audran était imposant, inquiétant pourquoi pas. Sa silhouette fuselée, sa voix chaude, son regard très clair et presque irréel, tout cela faisait d’elle une vamp. Pas loin du vampire donc.

Audran à l’écran faisait monter d’un coup la température. Elle était le corps érotique de la Nouvelle Vague. Ici dans La Femme infidèle de Claude Chabrol (1969)

Issue d’une famille bourgeoise de Versailles, orpheline de père à 6 ans, elle avait commencé au théâtre, en même temps que Delphine Seyrig et Laurent Terzieff. C’est dans le cours de Charles Dullin qu’elle rencontre Jean-Louis Trintignant, son premier mari. Puis survient le tourbillon de la Nouvelle Vague, qui l’emporte ailleurs. Par l’intermédiaire de Gérard Blain, elle rencontre Chabrol dans le café où il joue toujours au flipper. Il l’engage pour Les Cousins (1958), où elle n’a qu’un petit rôle, dans une fête. Mais elle devient par la suite son actrice fétiche. Mariés en 1964, Claude Chabrol et Stéphane Audran ont eu une collaboration exceptionnelle, travaillant ensemble sur une vingtaine de films. Parmi eux, un tir groupé de chefs-d’œuvre réalisés entre la fin des années 60 et le début des années 70 : La Femme infidèle (1969), Le Boucher (1970), Juste avant la nuit (1971), Les Noces rouges (1973).

Entourée d’un halo de mystère

On l’a vue vendeuse plombée par l’ennui (Les Bonnes Femmes) ou secrétaire masquant une machination (Le Scandale). Mais elle a surtout incarné mieux que quiconque la grande bourgeoise, sophistiquée, un peu distante, détachée. La femme pompidolienne, si l’on veut, mais jamais bête, ni soumise. Au contraire. Intelligente sans être intellectuelle, libre et libérée souvent, Stéphane Audran était toujours entourée d’un halo de mystère, d’interdit, de perversion. « Hitchcockienne », elle l’était aussi. Cachant magnifiquement son jeu, elle savait cultiver l’ambiguïté, avec une élégance synonyme de sobriété. L’homme, l’ordre bourgeois, la bonne morale, tout cela pouvait soudain dérailler vers la folie, brûler, être réduit à néant, par cette scandaleuse chic. Victime et coupable à la fois. 

StŽéphane Audran avec Bernadette Lafont dans Les Bonnes Femmes de Claude Chabrol (1959)

Ainsi Luis Buñuel l’a fait jouer dans ce film dont le titre lui a collé à la peau : Le Charme discret de la bourgeoisie (1972). Elle a croisé aussi d’autres grands noms (Samuel Fuller, Orson Welles) mais sans de grands rôles avec. En 1974, dans Vincent, François, Paul et les autres, de Sautet, elle est au zénith de sa beauté. Après son divorce en 1980 avec Chabrol, elle est rarement au premier plan, mais se réinvente dans des rôles de garce ou de méchante. Coup de torchon (Tavernier), Les Saisons du plaisir (Mocky) ou Mortelle Randonnée (Claude Miller) démontrent que sa carrière ne s’est pas arrêtée après Chabrol. En 1987, on l’appelle pour tourner au Danemark Le Festin de Babette, conte délicieux qui fut un énorme succès, où elle fait des merveilles en cuisinière généreuse et modeste, offrant en signe de reconnaissance à la communauté austère qui l’a accueillie, un repas extrêmement raffiné.

Stephane Audran dans Le Festin de Babette de Gabriel Axel (1987)

Et puis il y a ce « Stéphane », déconcertant, bizarre. Née Colette Dacheville, elle avait choisi ce prénom de garçon pour la scène, sans jamais avoir donné d’explication claire. Cela participait de son aura. Comme si cet attribut masculin n’était là que pour renforcer sa féminité pulpeuse, sa langueur enjôleuse. Elle vient de s’éteindre, à l’âge de 85 ans, des suites d’une longue maladie.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire