Toute sa vie, Paul Nougé refusa l’idée de l’irresponsabilité de l’art. Ici, le poète belge «pose», à sa façon, dans un Photomaton. |
Paul Nougé, le poète dynamiteur
Surréaliste avant l’heure, le fin lettré belge avait épinglé lors d’une conférence, en 1929, le conformisme de ses contemporains en matière de musique. L’occasion pour lui de plaider pour la plus haute forme de cet art
Publié dimanche 26 juillet 2020 à 15:57
Modifié dimanche 26 juillet 2020 à 15:58
Lors d’une exposition consacrée à Paul Nougé et à son œuvre écrite et photographique, à la fin des années 1990 à Bruxelles, on put lire un article enthousiaste sur le plus secret des poètes belges – qui tenait à le rester –, cet énigmatique et intègre lettré qui invoqua un nouvel humanisme à la faveur de la révolution littéraire qui s’annonçait. «Une œuvre dont la variété et l’étrangeté ne laissent pas d’émerveiller le lecteur d’aujourd’hui», écrivait Antoine Faugères dans Le Lecteur.
Qui est Paul Nougé? Un surréaliste avant l’heure en marge du surréalisme (il rejetait l’écriture automatique et critiquait toutes les formes du modernisme), un artiste qui refusa toute sa vie l’idée de l’irresponsabilité de l’art, un poète inspiré, auteur d’un poignant poème d’amour: Esquisse d’un hymne à Marthe Beauvoisin, un théoricien déverrouilleur de théories…
Joyeux drilles
Paul Nougé faisait partie d’un trio de joyeux drilles, aux côtés de ses compatriotes Marcel Lecomte et Camille Goemans, qui amorcèrent la révolution surréaliste avec la publication de tracts dès 1924, précédant le manifeste surréaliste parisien de 1928 d’André Breton qui, escorté de Louis Aragon et de Paul Eluard, ira à la rencontre des rebelles à Bruxelles. Le tract 19 des Bruxellois s’adressait même au poète de Nadja avec cet avertissement: «Pour garder les distances». Nougé suscitera l’admiration de Breton, de Jean Paulhan et de Francis Ponge, qui le décrira comme «l’une des plus fortes têtes de ce temps». Dans les années 1950, Nougé fut l’auteur de textes qu’interprétera une jeune chanteuse qui faisait ses débuts dans un cabaret de Charleroi: Barbara.
«Implacable nécessité»
Quand il publia Au palais des images les spectres sont rois, le monumental ouvrage rassemblant les œuvres anthumes de Paul Nougé (Allia, 2017), Gérard Berréby déclara, en paraphrasant l’auteur: «Il ne s’agit pas d’un choix, en fait, mais bien d’obéir à une implacable nécessité.» «Il reste aussi le texte que l’on va lire. Tel qu’il est, peut-être est-ce vrai qu’il n’a pas seulement une valeur historique?» écrivait Nougé dans son exergue à La Conférence de Charleroi, prononcée le 20 janvier 1929, deux mois à peine après la publication du premier numéro de La Révolution surréaliste de Breton.
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Ce texte a aussi une valeur historique, dans la mesure où Nougé, avec une légèreté à peine teintée d’ironie, traite du goût pour la musique. Le ton est donné dès le début de cette prise de parole, qui va crescendo comme une pièce musicale: «La tradition réclame de moi un commentaire mêlé de louanges des œuvres musicales que vous allez entendre. Je crois bien faire en dérogeant à cette tradition. Je sais qu’en agissant ainsi je me prive de certains avantages.» Et il enchaîne, anticipant quasiment d’un siècle sur nos mœurs contemporaines: «Il est devenu à peu près impossible, à notre époque, de découvrir quelqu’un qui ne mette une sorte de point d’honneur à proclamer son goût pour la musique. Si bien qu’il suffit de dire, pour faire scandale, que l’on tient cette musique en piètre estime.»
Hymne à la grande musique
Paul Nougé est l’un des rares écrivains qui, lorsqu’il s’aventure sur le terrain de la pensée, ne se perd jamais dans la théorie, mais rebondit avec son lecteur dans une vitalité poétique pleine de verdeur. Au fil des pages, cette critique de ce goût très répandu pour la musique, par la musicalité et la fantaisie de sa prose, se transforme en un hymne à la grande musique, par le plus pur effet de contradiction, de provocation. Il n’échappait pas à cette «volonté délibérée d’agir sur le monde».
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