Joan Didion, dans les années 1960. Jerry BAUER |
Joan Didion, femme culte
Qu'est-ce que le mal ? Comment la vie d'un être basculet-elle brutalement dans l'horreur ? Pourquoi les choses se produisent- elles sans raison ? Journaliste, romancière, Joan Didion a passé sa vie à ...
Qu'est-ce que le mal ? Comment la vie d'un être basculet-elle brutalement dans l'horreur ? Pourquoi les choses se produisent- elles sans raison ? Journaliste, romancière, Joan Didion a passé sa vie à s'interroger ainsi. Le hasard éditorial de cette rentrée met côte à côte l'un de ses premiers romans à explorer ce thème, Maria avec et sans rien (1), écrit en 1970, et L'Année de la pensée magique (2), son nouveau livre, un récit autobiographique dans lequel elle raconte comment, bien plus tard, les choses lui sont arrivées. Joan Didion s'est fait connaître à partir des années 60 par une série de reportages littéraires subjectifs où la réflexion personnelle tenait autant de place que l'information et, parallèlement, de romans inquiétants dont l'écriture ressemblait à s'y méprendre à celle de ses reportages. La Californie, où elle est née, est son sujet principal et, dans son oeuvre, il s'agit moins d'un Etat des Etats-Unis que d'une région de l'enfer : un lieu qu'elle décrit comme « la capitale mondiale de la paranoïa ». C'est là que se situe Maria avec et sans rien, portrait d'une actrice de second ordre, Maria Wyeth, et de son effondrement intérieur en une série d'étapes dont aucune n'est vraiment décisive. Rien n'a vraiment de cause dans la dépossession qui s'empare de l'héroïne, ni l'amertume d'un mariage qui se défait, ni l'avortement consécutif à une liaison sans suite, ni quelques vagues orgies, et même le suicide final n'est pas le sien. Telle est la nature de l'enfer chez Didion : rien n'a de rapport. « La vie change vite. On s'apprête à dîner et la vie telle qu'on la connaît s'arrête » : ces deux premières phrases extraites de L'Année de la pensée magique ont ceci d'effrayant qu'elles pourraient figurer dans le roman écrit trente-cinq ans plus tôt. Dans l'existence de Joan Didion, la brutalité a fait irruption en décembre 2003, alors qu'elle et son mari, le scénariste John Dunne, rentraient de l'hôpital où leur fille avait été admise pour ce qui avait ressemblé à une grippe et venait de se révéler une pneumonie. Sous les yeux de Joan Didion, son mari s'effondra brutalement à la table du dîner victime d'un arrêt cardiaque. « Je n'ai aucune idée de quoi nous parlions lorsqu'il s'est arrêté de parler, écrit-elle. Je me rappelle seulement avoir levé les yeux. Sa main gauche était suspendue en l'air et il était avachi, immobile. » Le livre, qui a obtenu le National Book Award avant d'être mis en scène à New York avec Vanessa Redgrave, ne raconte pas seulement la lutte de Didion pour surmonter la dévastation soudaine de son existence. Entre la mort de son mari, et la mort non moins brutale, dans le courant même de l'écriture, de sa fille, c'est une méditation sèche et tragique sur la brutalité de l'existence. A l'image de son oeuvre.
(1) Robert Laffont, «Pavillon Poche», 233 p., 7,90 euros. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Rosenthal. (2) Grasset, 278 p., 18,90 euros. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Demarty.
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