Joan Didion |
Quand Joan Didion auscultait l'Amérique
Ses chroniques sur la détérioration de son pays à la fin des années 60 n'ont pas pris une ride.
Après un premier roman, Run River, paru en 1963 (bientôt traduit chez Grasset), Joan Didion a donné, trois décennies durant, à la New York Review of Books et au New Yorker , des articles sur les soubresauts de l'Amérique, de la côte Ouest à la côte Est, de la Californie à New York. Des textes d'une grande acuité dans lesquels cette tenante du Nouveau journalisme (avec Tom Wolfe et Norman Mailer) n'a pas hésité à inclure des épisodes de sa vie personnelle, de son enfance à Sacramento. Chose impensable dans la presse classique. Pour autant, rien de nombriliste dans tout cela. Juste une façon d'être encore plus au cœur de son sujet. Dans cette anthologie d'articles extraits de Slouching Towards Bethlehem (1968), The White Album (1979) et After Henry (1992), Didion n'a pas sa pareille pour restituer le climat d'une époque. Rien ne lui échappe. Les Black Panthers, l'affaire Patti Hearst, les appartements sordides des hippies de Haight-Ashbury (San Francisco) où des enfants de cinq ans sont accros à l'acide et au peyotl. Didion ne porte aucun jugement, elle énonce des faits qui parlent d'eux-mêmes.
Dans ses pérégrinations, la journaliste accumule les portraits sur le vif. On croise chez elle des anonymes et des stars. Jim Morrison, chanteur des Doors envapé, porte «des pantalons en vinyle noir sans sous-vêtements» et donne «l'impression de montrer toute l'étendue des possibles au-delà des pactes suicidaires». D'un Morrison à l'autre. Après Jim, la voici en compagnie de Marion, plus connu sous le nom de John Wayne. Didion retrouve l'idole de son enfance au Mexique, sur le tournage des Quatre fils de Katie Elder . Le Duke a beau clamer: «J'ai eu la peau du grand C», le cancer est bel et bien en train de le ronger.
Tension en vortex
L'époque est épique. Didion écoute Lay Lady Layet Suzanne . Fait de la bouillabaisse pour ses amis. Elle est désignée «Femme de l'année» par le Los Angeles Times en compagnie d'une certaine Nancy Reagan! À Honolulu, elle regarde à la télé les funérailles de Robert Kennedy et relit tout Orwell. Suite à des vertiges répétés et à des nausées, le verdict des psychiatres est clair: «Personnalité en cours de détérioration». Ce qu'elle confirme sans hésitation: «Je suis une femme de 34 ans qui a de longs cheveux raides, un vieux Bikini et une crise de nerfs, assise sur une île au milieu du Pacifique à attendre une lame de fond qui ne vient pas.»
L'état de la journaliste est à l'image de celui du pays. «Une tension en vortex, démente et séduisante, montait au sein de la communauté. La nervosité s'installait.» Le 9 août 1969 à Cielo Drive, Charles Manson et sa bande de détraqués massacrent cinq personnes dont la femme de Roman Polanski, l'actrice Sharon Tate, enceinte. Commentaire de Didion: «La tension se brisa ce jour-là. La paranoïa était accomplie.» L'Amérique n'a alors pas encore totalement sombré mais elle est en train de perdre ses repères. À New York, les agressions et viols de femmes se multiplient. Le Vietnam va parachever le désastre.
«L'amérique de Joan Didion», chroniques traduites de l'anglais par Pierre Demarty, Le Livre de poche, 329 p., 6,60 €.
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