L’Amérique a souvent partie liée au destin des vedettes de la chanson française. Né en Toscane en 1921, Ivo Livi a deux ans lorsque sa famille quitte l’Italie, en proie à la montée du fascisme. Son père Giovanni espère atteindre les Etats-Unis, mais les Livi n’iront pas plus loin que Marseille. La cité phocéenne devient le terrain de jeu de Montand. Il se passionne pour le cinéma, surtout les comédies musicales américaines. Il veut faire « comme Fred Astaire », même s’il admettra plus tard qu’il ne connaissait alors rien à la danse. A 17 ans, il monte pour la première fois sur scène et chante « Dans les plaines du Far West », imite Popeye et Donald Duck et prend des airs de cowboy avec son chapeau et son revolver. Il fait le show et ça marche.
Avec son allure cabotine, il fait parler de lui et finit par assurer, en 1944, la première partie d’Edith Piaf qui, conquise, le prend sous son aile avant d’en faire son amant. Suivent deux ans de romance. La môme le convainc d’abandonner son attirail américain pour un style plus sobre et l’introduit dans les cercles parisiens. En 1946, elle suggère au réalisateur Marcel Carné d’engager Montand pour remplacer Jean Gabin dans Les Portes de la nuit. Le rôle est celui d’un résistant d’une quarantaine d’années. Il n’en a que vingt-quatre mais qu’importe, le rôle de Diego est pour lui. Après ce film, Montand et Piaf se séparent. C’est elle qui le quitte, mais tous deux ont le cœur brisé. Peu de temps après, Piaf enregistre une chanson d’amour aux accents mélancoliques : « La Vie en Rose ».
Une chanson qui nous ressemble
Les Portes de la nuit fera un flop monstrueux, mais une rengaine de la bande originale rencontrera un succès tout autre : « Les Feuilles mortes », de Prévert et Kosma. A la sortie du film, la chanson passe d’abord inaperçue. Montand enregistre une version studio en 1949, mais là non plus ça ne prend pas. La même année, l’Américain Johnny Mercer l’adapte en anglais sous le titre « Autumn Leaves ». La chanson donne son nom – et son générique – au film Autumn Leaves avec Joan Crawford en 1956. Le crooner Nat King Cole en fera un standard du jazz. Enregistrée plus d’un millier de fois, reprise par les plus grands, de Frank Sinatra à Bob Dylan, détournée par Serge Gainsbourg dans sa « Chanson de Prévert », la mélodie timidement fredonnée par Yves Montand est immortelle.
Une fois remis de son chagrin d’amour, tout lui sourit. Il est devenu acteur, comme il en rêvait, mais continue les tours de chant. Sa versatilité fonctionne à merveille et pendant dix ans, il enchaîne les tournages et les spectacles sur scène. Au même moment, il rencontre la femme de sa vie : Simone Signoret. Ensemble, ils jouent dans Les Sorcières de Salem d’Arthur Miller, au théâtre dans l’adaptation de Marcel Aymé, puis au cinéma dans celle de Jean-Paul Sartre. En 1958, alors que Montand se produit au théâtre de l’Etoile, il est remarqué par Norman Granz. Imprésario d’Ella Fitzgerald et producteur affluent, il est déterminé à le voir à Broadway. Visa en main et étoiles dans les yeux, Simone Signoret et Yves Montand s’envolent pour New York en septembre 1959.
Le chanteur se produit au Henry Miller’s Theater sur la 43e Rue. Le Tout-New York se bouscule pour assister à la grande première de l’interprète des « Feuilles mortes » : Lauren Bacall, Ingrid Bergman et même une certaine Marilyn Monroe. Granz a vu juste, c’est un triomphe. Le spectacle est prolongé de plusieurs semaines et Montand part en tournée à travers l’Amérique du Nord. Invité de l’émission de Dinah Shore le 15 novembre 1959, Montand danse, chante en français, fait les yeux doux aux téléspectateurs américains et tente quelques jeux de mots en anglais. Ivo Livi vit enfin son rêve américain.
Passions à Beverly Hills
En 1960, la Twentieth Century Fox le préfère à Cary Grant pour incarner Jean-Marc Clément dans Le Milliardaire, une comédie avec Marilyn Monroe réalisée par George Cukor. Direction Los Angeles, où Simone Signoret et Yves Montand deviennent les voisins du couple Arthur Miller-Marilyn Monroe au Beverly Hills Hotel puis leurs amis. Quelques mois plus tard, Miller est appelé en Irlande. Signoret remporte l’Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans Les Chemins de la haute ville avant de partir pour un tournage à Rome. Marilyn Monroe et Yves Montand restent en tête à tête. Leur romance à l’écran se transforme en liaison qui fait scandale dans la presse internationale.
Simone Signoret ressort particulièrement blessée de cette trahison. Quant à Arthur Miller, il bloquera pendant des décennies l’exploitation des Sorcières de Salem. Le dramaturge, rappelant que le film avait obtenu des droits de distribution partiels, prétend désapprouver l’adaptation de Sartre. En réalité, la liaison entre son épouse et Montand a motivé sa décision. En 2017, douze ans après la mort d’Arthur Miller, les studios Pathé ont finalement pu acheter les droits de distribution du film et une version restaurée est sortie en France en DVD.
Un peu secoué mais pas K.-O., Montand enchaîne les productions hollywoodiennes, dont une adaptation du roman de Françoise Sagan Aimez-vous Brahms ? par Anatole Litvak, avec Anthony Hopkins et Ingrid Bergman, avant de remonter sur les planches à Broadway. En 1962, il est la star française la plus connue au monde. Il entreprend une tournée à l’international avant de revenir en France. Marilyn Monroe est retrouvée morte en août de cette même année, une tragédie que le chanteur ne commentera pas.
M. Montand va à Washington
Jeu du sort ou destinée, la vie américaine d’Yves Montand est pleine de rebondissements. Lié à tout jamais au nom de Marilyn Monroe, il croisera le chemin d’un autre homme épris de l’actrice : John Fitzgerald Kennedy. le 18 janvier 1963, l’artiste français est invité à se produire lors d’une soirée de collecte de fonds à Washington à l’occasion du deuxième anniversaire de l’investiture de J.F.K. Le succès de Montand est tel que même le monde de la politique lui tend les bras ! Pas évident, lorsque l’on connaît l’engagement du couple Signoret-Montand auprès du Parti communiste, leurs tournées en Union soviétique et leurs prises de position contre le maccarthysme. Il faut croire que la voix profonde et les yeux doux du « French Lover » ont fait s’évanouir les dernières réticences des Américains. Montand repensera à Kennedy en 1979 lorsque le réalisateur Henri Verneuil lui confie le rôle d’un procureur enquêtant sur l’assassinat d’un président dans I comme Icare, largement inspiré de l’attentat de Dallas.
Personnage hors norme, un seul adjectif suffirait pourtant à décrire Yves Montand : immense. Comme sa stature d’un mètre quatre-vingt-sept, comme sa carrière, son succès et son magnétisme sur scène comme à l’écran. Immense comme la dernière salle qui l’accueillera aux Etats-Unis : le Metropolitan Opera de New York. Premier artiste populaire à chanter en solo au Met, il s’y produit une semaine durant, en septembre 1982, dans un spectacle unique qui mélange les succès de son répertoire et les poèmes de Jacques Prévert, Aragon et Baudelaire. Pas exactement un programme d’opéra ordinaire, mais Montand n’a, encore une fois, rien d’ordinaire.
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