De la vie des poissons en eaux profondes, Katya Apekina
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Publié le 7 juillet 2021
C’est la subjectivité de nos ressentis qui fait toute la richesse et la complexité de l’existence humaine, ce que Katya Apekina semble vouloir illustrer dans ce roman choral des plus déroutants. Edie et Mae quittent leur Sud natal pour New York quand leur mère se retrouve hospitalisée suite à sa tentative de suicide. Elles découvrent là-bas ce père qu’elles n’ont jamais connu et vont réagir très différemment à cette nouvelle vie, l’une prenant fait et cause pour Dennis, l’autre obnubilée par l’idée de rentrer chez elle retrouver Marianne. Alors que leurs chemins divergent, une foule de personnages secondaires prennent la parole pour partager leur vision de ce couple étrange et dysfonctionnel que formaient leurs parents, brouillant toujours plus les contours de la réalité.
Katya Apekina nous sert un roman terriblement anxiogène, où chaque mot, chaque chapitre, chaque extrait nous indique qu’un événement catastrophique est sur le point d’avoir lieu. Habités de fantasmes interdits et de troubles psychologiques irrésolus, les personnages principaux sont désarmants de sincérité, incapables de s’accommoder de la réalité et étrangement perturbants dans leurs idées fixes. On pense petit à petit découvrir la vérité sur l’histoire de Marianne et Dennis, on pense savoir à qui revient la faute, mais il suffit d’un mot, d’une anecdote, pour faire planer le doute à nouveau. La réalité n’est-elle qu’une question de point de vue ?
Ce premier roman déstabilisant m’a entièrement aspirée, je suis complètement laissée happée par cette ambiance lourde et menaçante, par ces circonvolutions de l’histoire, tellement changeante en fonction des narrateurs. Mené avec brio, ce livre n’en est pas moins foncièrement dérangeant, ce qui rend difficile un avis tranché.
Peut-on identifier avec certitude le moment où une vie bascule ?
Pour Edie et Mae, c’est peut-être le jour où elles doivent aller vivre à New York chez leur père, qui a quitté le foyer familial dix ans plus tôt. Car si l’une prend fait et cause pour cet écrivain tourmenté, l’autre ne souhaite qu’une chose : retrouver leur mère, la fascinante mais si fragile Marianne. Face aux errements et à l’égoïsme des adultes, pourront-elles les sauver d’eux-mêmes sans se perdre en chemin ?
Leurs récits discordants s’entremêlent à ceux de leurs proches et témoignent d’une vision si différente des événements que l’on en vient à douter. Qui croire parmi les divers acteurs du drame qui guette à mesure que chacun, enfermé dans ses propres convictions, plonge dans les eaux troubles de la mémoire familiale?
C’est probablement pour cette raison que je suis devenue photographe : cette capacité que possède une image à deux dimensions de nous faire éprouver des sentiments si profonds. En regardant les yeux de mon père en noir et blanc j’ai tout à coup eu l’impression de le comprendre totalement, comme si je n’avais jamais vu jusqu’alors quelqu’un qui me plaise à ce point. Je le regardai ensuite tel qu’il était au milieu de ces gens – devenu vieux – sans pouvoir m’empêcher de penser que ma mère avait mangé la chair de l’orange et ne m’avait laissé que l’écorce. Je remarquai qu’Amanda regardait cette photo elle aussi et me demandai si elle éprouvait le même sentiment que moi.
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