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Lionel Shriver«Je suis une pessimiste du genre souriante»
La romancière Lionel Shriver voit un drôle d’avenir avec «Les Mandible Une famille, 2029-2047». A vérifier samedi et dimanche à Genève.
Mis à jour: 28.04.2017, 09h3La soixantaine androgyne, l’Américaine Lionel Shriver a musclé son esprit d’indépendance dès l’adolescence, quand elle se rebaptisa en garçonne. Puis la fille de pasteur presbytérien crapahuta autour du monde, avant de percuter la scène littéraire internationale il y a une dizaine d’années. Toujours singulière, avec Les Mandible: Une famille, 2029-2047, elle prend le pouls d’un futur proche. Les USA, présidés par un Hispanique sont balayés par l’Asie, ses marchés s’effondrent, la Bourse flambe.
Les bobos incarnés par les Mandible, anciens héritiers aisés, survivent dans le chaos. «L’argent, quel formidable vecteur pour parler de justice, un domaine subjectif, générateur d’opinions violentes, émotionnelles», s’enthousiasme la romancière. A l’évidence, la Londonienne d’adoption a potassé les bouquins sur l’économie. «En matière d’argent, les Américains ne se sentent jamais redevables, alors que les Européens eux, renvoient l’ascenseur social. Par contre, ils fustigeront volontiers des salaires extravagants. Si vous avez de l’argent, mieux vaut la boucler et ne pas se plaindre.» Par chance, Lionel Shriver ne pratique pas cette autocensure.
Pourquoi privilégiez-vous si souvent la satire du microcosme familial?
Grâce à des gens ordinaires, je peux cerner des concepts abstraits, l’économie ici, ou la folie dans Il faut qu’on parle de Kevin, l’obésité dans Big Brother, ou encore l’assurance-maladie dans Tout ça pour quoi. Le mérite de la fiction repose justement dans cette qualité inouïe à pouvoir imager des notions intangibles mais quotidiennes, dans des situations concrètes.
D’autant que la famille, comme dit Tolstoï, offre des tragédies à l’infini.
D’ailleurs famille et dysfonctionnalité sont en soi, des réalités redondantes, n’est-ce pas? Pourquoi choisir des bourgeois?
Avec des pauvres, je n’avais pas d’intrigue. Il me fallait des nantis que je puisse priver de leur argent. Les Mandible représentent une famille new-yorkaise traditionnelle de la classe moyenne. Avec des nuances statistiques, les plus riches se montrant plus conservateurs, la gamme se décuple par le fossé générationnel. J’avais donc un potentiel de cas pour explorer les expériences et conséquences émotionnelles d’une faillite nationale.
Chaque Mandible semble profilé en pion sur un échiquier. Stratégique?
Absolument. Même si dans l’interaction de l’écriture, je trouve important de m’autoriser des variantes. La plus jeune par exemple, une fille pourrie gâtée comme un bébé, finit par grandir. Déjà pour embêter sa sœur! Plus sérieusement, de nana égocentrique qui fait commerce de ses charmes, elle en arrive à exprimer une surprenante générosité. Je trouve toujours gratifiant de vérifier la possibilité d’une évolution. Je suis une pessimiste souriante. Et j’espère que cet humour énergique se voit dans le roman.
Mais vous pestez contre l’hypocrisie américaine, le contrat social violé.
Ah, mais la colère revitalise aussi. Tant d’irresponsables contrôlent et influencent notre mode de vie, qu’il est impossible de ne pas se sentir concerné. Néanmoins, j’avoue prendre du plaisir à m’énerver contre ces forces malfaisantes!
Pourtant, dites-vous, le monde n’est pas pire qu’avant, au contraire.
Mais oui! Les faits le prouvent, même si nous ne voulons pas le voir, moi la première d’ailleurs. De par notre expérience, nous pensons que l’humanité va dans le mur, pourtant ce n’est pas vrai. Je ne déteste pas rappeler ce genre de petites perversités. Cela me divertit.Quitte à être taxée de raciste par un critique du Washington Post?
Ce critique, démocrate à l’évidence, a pris mon roman pour une attaque en règle du libéralisme. Ridicule! Je vote démocrate, je me considère comme une libérale.
Question d’humour, comme le mur évoqué dans Les Mandible, construit pour empêcher les Américains de passer au Mexique?
En vérité, je n’avais pas prévu l’anomalie politique Donald Trump, il n’était pas élu quand j’ai écrit ça. Une coïncidence étrange, dont j’apprécie beaucoup l’ironie. Comme mon allusion à l’administration Chelsea Clinton, qui voulait moquer le principe de dynasties présidentielles.
Comment vous voyez-vous en 2029?
Gosh… j’aurais, quoi, 72 ans? Je me vois toujours en Angleterre. Je n’ai pas choisi de finir mes jours là-bas. En fait, je n’ai pas réussi à partir.
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