jeudi 13 octobre 2016

Bob Dylan, le Nobel de littérature qu'on n'attendait pas




Bob Dylan, le Nobel de littérature qu'on n'attendait pas

DÉCRYPTAGE - Philip Roth, Don DeLillo, Joyce Carol Oates.... On pensait qu'un auteur américain décrocherait cette année la récompense suprême. Mais sans doute pas celui-ci qui vient d'être primé pour «avoir créé de nouvelles expressions poétiques dans la grande tradition de la chanson» .


On rêvait du couronnement d'un auteur Américain. Depuis Toni Morrison, en 1993, les lettres américaines étaient boudées sans raison valable par les jurés de Stockholm. On espérait logiquement qu'un Philip Roth, même «retraité de l'écriture» depuis quatre ans, qu'un brillant Don DeLillo ou qu'une Joyce Carol Oates au regard acéré sur son pays, finirait par triompher.

Pour rire, comme si cela relevait de l'improbable, on citait le nom de Bob Dylan, toujours présent sur les listes officieuses des sites de paris en ligne, mais si loin du podium. On n'y croyait donc pas vraiment (un chanteur, prix Nobel?) les jurés suédois n'étant pas réputés pour leur fantaisie ou leurs prises de risques.

Ils nous font mentir aujourd'hui en choisissant l'auteur, compositeur, interprète, musicien, poète, le plus célèbre de la deuxième moitié du XXe siècle. À 75 ans, Robert Allen Zimmerman, l'homme qui passe, depuis des décennies, l'essentiel de son temps sur scène, publiant régulièrement de nouveaux albums studio, est récompensé «pour avoir créé de nouvelles expressions poétiques dans la grande tradition de la chanson américaine». «Bob Dylan a écrit une poésie pour l'oreille» a ajouté la secrétaire générale de l'Académie avant de parler «d'icône»...

En tant qu'écrivain proprement dit, Dylan a peu publié. On lui doit un unique roman, pour le moins abscons, Tarentula, écrit en 1966 (Fayard, 1993). L'événement a donc été la publication du premier volume de ses Chroniques (en 2005 chez Fayard) qui a passionné la critique et rencontré un colossal succès public avec plus de 500.000 exemplaires vendus aux États-Unis. Un livre étonnant car personne n'aurait imaginé le taciturne petit homme, le mutique musicien tournant le dos à son public, se confier à ce point.

On avait beau connaître le talent du parolier, on ne pouvait imaginer un tel talent d'écrivain. De l'année 1961, au moment où Dylan, alors âgé de vingt ans, vient de quitter son Minnesota natal pour débarquer à New York, il évoque ensuite la fin des sixties, symbole d'une époque du doute, d'interrogations. Le livre arrive enfin à 1987, année décisive de sa rencontre avec le producteur Daniel Lanois et de l'enregistrement de Oh Mercy. Dylan achevait cette formidable autobiographie par un retour aux années 1960 et à l'enfance.



700 chansons à texte

Chaque année, on espère que le chanteur aura trouvé, entre deux concerts au bout du monde, le temps de rédiger la suite.

Ce volume mis à part, il est évident que l'essentiel de l'œuvre de Dylan restera ces quelque sept cents chansons à texte, mélanges d'influences diverses, des classiques folksongs américaines à la poésie surréaliste, en passant par la littérature. Réunis il y a huit ans chez Fayard sous le titre Lyrics; chansons 1962-2001, ces textes ne cessent de fasciner par leur profondeur, voir leur hermétisme. Qui a jamais réussi à expliquer les paroles de The Changing of the Guards?

Parue sur l'album Highway 61 Revisited en 1965, la chanson Like A Rolling Stone,a fait le tour du monde et a été sacré par le magazine Rolling Stone «plus grande chanson de tous les temps». Dans son discours de réception de Dylan au Rock and Roll Hall of Fame, Bruce Springsteen, également connu pour la qualité de ses textes, dira: «La première fois que j'ai entendu Bob Dylan, j'écoutais WMCA avec ma mère dans la voiture, et soudain il y a eu ce coup de caisse claire qui sonnait comme si quelqu'un avait donné un grand coup de pied dans la porte donnant sur votre esprit.»

Dylan a écrit cette chanson d'après un long poème. Au journaliste Jules Siegel, il en a raconté la genèse: «Le poème était long de dix pages. Il n'y avait pas de titre, juste des vers sur une feuille de papier à propos de ma haine incessante envers quelque chose de bien précis, c'était brutal. À la fin, ce n'était plus de la haine, ça disait aux gens quelque chose dont ils ne savaient rien, leur apprenant qu'ils avaient beaucoup de chance. Une revanche, plus précisément. Je ne pensais pas du tout en faire une chanson, jusqu'au jour où, je me suis retrouvé assis à mon piano, chantant à un rythme très lent How does it feel? au rythme le plus lent possible.»

On attend avec impatience le texte du discours que Dylan, qui vient de publier son 37è album studio, Fallen Angels, prononcera lors de sa réception à Stockholm en décembre prochain. On est également curieux de savoir ce qu'il va bien pourvoir faire des huit millions de couronnes (822.000 euros) octroyés par l'Académie suédoise.

LE FIGARO


PESSOA




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