Herb Ritts : des photos d'une perfection inhumaine
Les images du célèbre photographe américain sont actuellement exposées à Paris. L'occasion de revenir sur un style unique et étrange, où son obsession plastique vide les modèles de toute émotion, transformant les êtres en statues.
Herb Ritts (1952-2002) a la réputation justifiée d’être un photographe de célébrités. Ses portraits de Madonna adoptant une pose sensuelle à la Marilyn Monroe, de Richard Gere en dur à cuire, ou encore de Jack Nicholson grotesquement grimé comme le personnage du Joker de Batman, ont régulièrement illustré les pages des magazines people.
Son œuvre ne s’est toutefois pas limitée à déifier les stars qui alimentent les pauvres mythologies de nos sociétés médiatiques. Objet d’une rétrospective à la MEP, ce gosse d’une famille fortunée de Los Angeles, un autodidacte en photo diplômé à l’origine en économie, développait à côté de son travail pour Harper’s Bazaar, Rolling Stone, Vanity Fairet Vogue, une œuvre personnelle traversée de géniales fulgurances.
Dans une image, le corps d’une femme nue est à moitié immergé dans l’eau. Elle s’est renversée en arrière, et son corps est pris de telle façon qu’il semble confectionné de facettes, comme dans une peinture cubiste s’harmonisant à la perfection avec les vagues anguleuses d’une mer hachée.
Dans une autre, le modèle a les pieds bien au sec. Le cliché est pris dans le désert, l’un des décors fétiches de Ritts. Le mannequin tient au-dessus de sa tête un arbuste aux branches sèches comme une chevelure ombreuse. Le système capillaire inspire l’artiste américain. Il est en quête permanente du cliché qui ne s’oublie pas. C'est souvent le cas, comme avec le portrait de groupe des modèles stars de la mode de la fin des années 1980, « Stéphanie, Cindy, Christy, Tatjana, Naomie », blotties les unes contres les autres comme des oisillons frissonnants se tenant chaud dans le nid douillet de la beauté et de la notoriété.
Obsession mentale
Mais celle que l’on préfère, et de loin, est la photo de cette femme dont on ne voit pas le visage. Un voile noir épouse son sexe, il se développe à partir de lui, le prolonge comme un nuage vaporeux qui envahit tout le corps comme une obsession mentale. C’est superbe. Mais alors pourquoi, au fil de l’exposition, un malaise s’installe-t-il ?
Herb Ritts a le goût des photographies de corps nus. Comme celui de ce modèle noir aux formes sculpturales habillé de ses seuls talons aiguilles. On pense aussitôt à une image qu’aurait pu faire Helmut Newton (1920-2004). Sauf que le photographe allemand lui aurait donné une présence charnelle, une personnalité écrasante (Newton adorait être dominé par ses modèles), quelque chose de personnel, ne serait-ce qu’une pose provocatrice.
Alors que Ritts représente cette femme comme une sculpture, un robot, un objet parfait, sans pensée, sans âme, sans émotion. Un corps qui ne transpire pas, qui ne connaît ni le chaud, ni le froid, ni les factures de gaz à payer en fin de mois. Sans avoir l’aura d’une personnalité people.
Force ou faiblesse ?
Le photographe américain avait un goût très prononcé pour la statuaire antique dont il s’inspire d’évidence pour ses nus d’hommes, comme l’avait également fait son compatriote Robert Mapplethorpe (1946-1989). Ce dernier y exprimait ses désirs des beaux corps, son appétit d’ogre pour les personnes de son sexe. Ritts, lui, ne s’attache toujours qu’à la plastique parfaite de ses modèles. Il les rend irréels. Si l’on ne craignait pas de pousser le bouchon un peu trop loin, on dirait que ses images ont une vague familiarité avec les corps musclés, parfaits, exhibés par les régimes nazis et staliniens dans les années 1920 et 1930 à des fins de propagande, et traités comme les simples rouages d’un mécanisme déshumanisé au seul service d’une idéologie totalitaire. Rien ne permet de dire que Ritts partageait, même de loin, de pareilles idées. Mais en tout cas, voilà ce qui effraye chez lui, ou au mieux finit par laisser le spectateur de marbre : son goût de la perfection.
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