dimanche 2 octobre 2016

Cinéma à la carte / Où sont les hommes ?



Cinéma à la carte : où sont les hommes ?


Samuel Douhaire
Publié le 01/10/2016.


Au programme cette semaine, six films et un documentaire d'exception, où il est question de sexe, de genre, de guerre avec une humanité hors du commun.
Un mystérieux pensionnat de jeunes filles perdu dans la forêt (Innocence). Une communauté, non moins énigmatique, de femmes au teint blafard avec leurs garçons préadolescents au bord de l’océan (Evolution)… Points communs entre les deux longs métrages réalisés par Lucile Hadzihalilovic à onze ans d’intervalle ? Ils imaginent (fantasment ?) des mondes sans hommes. Et font preuve d’une invention plastique sans équivalent dans le cinéma français.

Ni homme, ni bleu

Le travail sur les couleurs, parfaitement rendu par l’édition Blu-ray, est sidérant. Dans Evolution, la cinéaste et son chef opérateur Manu Decosse, réussissent à éliminer la moindre trace de bleu (et, pourtant, il y en a des plans de ciel et de mer dans ce film tourné à Lanzarote !), par refus de l’esthétique « carte postale » et par souci de plonger d’emblée le spectateur dans un rêve (ou un cauchemar) éveillé.
Ce cinéma poétique, riche en rimes visuelles, influencé par Lovecraft et les grands écrivains latino-américains de l’imaginaire (Cortazar, Bioy Casares) privilégie l’atmosphère au détriment de la narration. Quitte à égarer son public dans un labyrinthe de symboles aussi foisonnants qu’obscurs. « Je ne vais pas donner des explications parce que je n’en ai pas », explique avec humour Lucile Hadzihalilovic dans les bonus d’Innocence. Avant d’avouer son goût pour les films où elle n’a« pas tout compris », car « ils (…) restent plus longtemps ».
On peut prendre un plaisir fou (intellectuel, mais aussi physique) à chercher son propre chemin dans ces films-labyrinthes foisonnants de symboles. On peut aussi avoir l’impression de tourner en rond, tant le décalage est grand entre leur puissance esthétique et la minceur de leur scénario – à la décharge de la réalisatrice, un budget trop juste l’a contrainte à amputer Evolution d’un tiers : le fantôme des scènes jamais tournées hante le film, le déséquilibre parfois.
Le cinéma si singulier de Lucile Hadzihalilovic ne serait-il pas, au fond, davantage fait pour le court métrage ? On serait tenté de le croire, au vu des formidables dix-sept minutes de Nectar (2013) à découvrir en bonus. Des images d’abeilles butineuses y font écho aux plans d’une reine nue, dont la peau secrète du miel suite aux caresses de ses servantes (on allait dire « ouvrières ») toutes vêtues de jaune. C’est superbe, et d’une sensualité incroyable. 
Innocence et Evolution, 1 combo 2 DVD/1 Blu-ray Potemkine/Agnès b.  

Troublant Kacey Mottet Klein

Il est toujours touchant de voir un acteur que l’on a découvert enfant grandir à l’écran. La première fois qu’on a vu la tête blonde de Kacey Mottet Klein, il avait 10 ans : c’était dans Home, d’Ursula Meier où il incarnait le fils d’Isabelle Huppert. Après avoir joué Gainsbourg enfant dans le biopic réalisé par Joann Sfar, il retrouvait quatre ans plus tard la jeune réalisatrice suisse pour le rôle-titre deL’Enfant d’un haut, un gamin sans père et doté d’une mère trop jeune, qui monte dans une station de ski pour dépouiller les touristes. Au début de sa puberté, KMK a encore impressionné en rejeton caractériel de Mathilde Seigner dans Une mère, de Christine Carrière.
On a retrouvé cette année le jeune acteur aux trois nationalités (américain par son père, français par sa mère et suisse parce qu’il est né à Lausanne) dans la peau de deux ados. Dans Keeper, très beau premier long métrage à la manière des frères Dardenne du Belge Guillaume Senez, son personnage a 15 ans, rêve de devenir gardien de but professionnel et s’apprête à devenir père. Dans le romanesque Quand on a 17 ans d’André Téchiné, il est Damien, qui s’interroge sur son identité et sa sexualité. A chaque fois, il excelle à incarner les tourments d’un adolescent, plus tout à fait enfant, pas encore « grand ». Des contradictions qu’il exprime en un mélange troublant de violence et de tendresse, de maladresse et de grâce. On a déjà hâte de le revoir.
Keeper, 1 DVD Blaq out. 
Quand on a 17 ans, 1 DVD Wild Side.
Les deux films sont disponibles en VOD sur la plupart des plate-formes.

Le chaos et l'humanité

Après vingt ans d'exil en France, l'Irakien Abbas Fahdel était revenu à Bagbad en février 2002, peu avant la destitution de Saddam Hussein. Il avait filmé les retrouvailles avec ses proches, la vie quotidienne – comme on ne la voit jamais dans les journaux télévisés – d'un pays dans l'attente d'une guerre annoncée, et inéluctable. Il est rentré à Paris le 17 mars 2003. Trois jours avant le début de l'opération Liberté irakienne lancée par les Américains...
Le cinéaste est alors reparti pour Bagdad, afin de raconter la nouvelle vie de sa terre natale certes libérée de son tyran, mais sombrant peu à peu dans le chaos. Le traumatisme lié à la mort de son neveu, tué par balle pendant le tournage, l'empêchera pendant dix ans de replonger dans les 120 heures de rushes qu'il avait ramenés d'Irak. Il lui aura fallu trois ans pour monter, seul, son documentaire-fleuve (5h40 en deux parties). Un film « avant la chute » et « après la bataille » où Abbas Fahdel raconte « (sa) famille comme un pays, aimé, perdu, retrouvé et perdu encore »comme il l'expliquait à Télérama lors de la sortie en salles de Homeland : Irak année zéro. Si vous ne devez voir qu'un seul documentaire cette année, c'est celui-là.
Homeland : Irak année zéro, 1 DVD Blaq out. Disponible en VOD sur myTF1, orange et universciné

Et aussi

Après la parenthèse frivole (pour ne pas dire « idiote ») des Amants passagers,Pedro Almodovar renoue avec les grands récits à tiroirs et les audaces formelles dansJulieta. Une très émouvante (et très sombre) évocation du temps qui fuit, doublée, comme presque toujours, d'un beau portrait de femme(s).
1 DVD ou Blu-ray Pathé. En VOD sur le plupart des plateformes





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire