Tentative de réhabilitation de personnages controversés, sinon détestés. Entre ironie, second degré et réelle volonté de penser contre nous-mêmes.
Kim Kardashian se maquille la vulve, des photos postées sur Instagram par son maquilleur l’attestent.


C’est à ce moment-là, fin 2016, que j’ai levé un sourcil et commencé à prendre au sérieux le cas KK. Avant, c’était au mieux l’indifférence. Le succès de «Kim», sa célébrité validée par quelque 160 millions d’abonnés sur Instagram et Twitter ? Le symptôme d’une époque vérolée, narcissico-voyeuristico-consumériste à l’extrême. Son tremplin a été la télé-réalité avec l’Incroyable Famille Kardashian, show immersif dans un marigot de fric-cul-manucure. Elle ? Poupée trafiquée, comme gonflée à l’hélium de sa vacuité, une lapine Duracell de l’outrance médiatique alimentée par un exhibitionnisme no limit dopé aux réseaux sociaux. Adios !
D’où se maquiller le sexe (pour présenter lèvres et vulve rutilantes) peut-il présenter un quelconque intérêt ? Cette pratique louée par Kim K et sa sœur Khloé ne fait que relayer le «marketing de la honte» en cours depuis les années 20 et qui surfe sur les angoisses liées à la beauté et à l’hygiène : odeurs corporelles et buccales, poils, pellicules, règles, etc. Oui mais voilà, la cosmétique pour les parties intimes est en 2019 un vrai marché, qui fait écho à l’engouement confirmé pour la chirurgie (vaginoplastie, labioplastie, nymphoplastie). L’époque se révolte contre l’obsolescence programmée de l’électroménager mais accepte toujours moins la déliquescence du corps humain qui doit rester virtuelle et marrante (cf. le carton de FaceApp), jusqu’au minou qu’il faut garder comme vierge - tout en étant un bon coup, passons.

La particularité de Kim Kardashian est de faire publiquement état de son chantier personnel, images à l’appui (on voit le maquilleur à l’œuvre sur son entrejambe). Et là, bam ! elle opère un renversement de situation : la honte renvoyée en boomerang à la face de la société prescriptrice des dogmes - dont l’injonction de planquer l’imperfection, de la nier par d’habiles tours de passe-passe, ni vu ni connu. Ces «posts» de la poupée Kardashian sont punk, un «fuck you» jambes ouvertes à la bienséance. Tout l’inverse de l’imagerie sexy-lisse que véhicule entre autres la pin-up à la plastique parfaite Emily Ratajkowski. Et la Kardashian récidive avec le psoriasis, maladie de peau pas franchement glamour : un renouvellement excessif des cellules cutanées produit des plaques rouges et des squames, qu’il faut s’ingénier à dissimuler. Raccord avec elle-même, Miss K, dont la vie consiste à se mettre dans l’œil du cyclone, poste des selfies avec plaques en majesté (jambes, visage). Ces images sont accompagnées d’astuces, dont le recours au maquillage corporel. Ça tombe bien, la reine du contouring (technique de make up pour redessiner le visage) a sa propre ligne. Mais au-delà de l’opportunisme, cet exhibitionnisme dermatologique a quelque chose de valeureux et malin, concède un handicap tout en créant une solidarité avec les affligés du «pso». Et l’impensable hypothèse de faire son trou : Kim Kardashian pourrait être utile à la société, plutôt qu’affolant effet de miroir.
On rejoint là une autre particularité, qui la distingue notamment de Paris Hilton, sa grande copine des débuts. KK est tout autant fille de riches, son père Robert Kardashian était avocat, connu pour avoir entre autres défendu le footballeur américain O.J. Simpson accusé d’avoir tué son ex-femme, et sa mère Kris Jenner est notoirement une redoutable «momager», «mère manager» entre autres productrice des shows télé de la famille. Mais à l’inverse de l’héritière hôtelière, Kim K. semble avoir l’hypernarcissisme soluble dans l’empathie voire l’engagement. Il peut être communautaire (lutte pour la reconnaissance du génocide arménien), féministe (soutien à Cyntoia Brown, adolescente meurtrière d’un homme avec lequel elle était contrainte d’avoir des relations sexuelles) ou plus large (appel à la limitation des armes à feu aux Etats-Unis ou en faveur des sans-abri). La citoyenne Kim Kardashian a par ailleurs soutenu la candidate Hillary Clinton lors de la dernière présidentielle, quand bien même son rappeur mégalo de mari Kanye West est copain de Trump. C’est comme ça qu’on se retrouve devant une vidéo surréaliste où, en pleine promo d’une nouvelle ligne de lunettes de soleil, Kim Kardashian explique sa «passion activiste» en quasi-dame patronnesse - mais bouche glossée à mort : «C’est l’injustice qui me motive, qui m’est insupportable. […]. Ceux qui m’inspirent particulièrement sont ces jeunes qui ont réchappé de tueries, comme celle de Parkland. Ils n’ont même pas 20 ans, ils sillonnent le pays pour faire entendre leur voix, alors moi, dont la voix porte tant, je dois l’utiliser. […]. A leur âge, contrairement à eux, je n’avais pas la conscience qu’on peut aider les autres, et je le regrette. […]. J’apprends ça à mes enfants : soyez bons pour les bons, justes, respectueux envers les autres, quels qu’ils soient.» Kim Kardashian, 38 ans, a deux filles et deux garçons avec Kanye West (son troisième mari après le producteur de musique Damon Thomas et le basketteur Kris Humphries, jalons d’une ribambelle de liaisons ponctuée de sextapes). Après les accouchements difficiles de North et Saint, liés à un problème de rétention placentaire, les deux derniers, Chicago et Psalm, sont nés d’une mère porteuse. Comme tout avec Kim Kardashian, le tarif de chaque GPA est connu : 4 500 dollars par mois pendant dix mois, 68 850 dollars de frais d’agence.
Donc, Kim Kardashian n’en fait qu’à sa tête, sans couvercle ni complexes, et fait bouger les lignes. Parfois, régulièrement, ça casse. Exemple le plus récent, l’affaire du «Kimono» : début juillet, celle qui se gargarise d’être une entrepreneure a dû remballer son projet d’appeler Kimono sa prochaine ligne de sous-vêtements gainants. Appropriation culturelle, manque de respect pour le vêtement traditionnel japonais, ont tancé les internautes, #KimOhNo à l’appui. Le maire de Kyoto lui-même est monté au créneau via Twitter.
En avril, c’est en annonçant son projet de devenir avocate (avec passage du barreau en 2022) qu’elle a déclenché une avalanche de ricanements. L’idée lui est venue, dit-elle, après l’affaire Alice Marie Johnson, une arrière-grand-mère condamnée à perpétuité pour blanchiment d’argent et trafic de drogue dont elle a pris la défense en mettant ses avocats à sa disposition : Trump l’a graciée en juin 2018. Peut-être l’effet copain-de-Kanye. Toujours est-il que depuis le maquillage du vagin, on sait : Kim Kardashian, ce n’est pas que du cul(ot). La callipyge est aussi un rouleau compresseur. Pour le pire mais aussi (parfois) pour le progrès. Parvenir à ce constat a un côté déboussolant, flippant : c’est accepter le nouveau monde.