dimanche 6 février 2022

Filer à l’anglaise sur la Côte d’Azur

Vue sur la plage et la promenade des Anglais, à Nice.

Vue sur la plage et la promenade des Anglais, à Nice. ERIC FABRER/ DIVERGENCE

Filer à l’anglaise sur la Côte d’Azur

Entre Cannes et Menton, les bords de la Méditerranée regorgent de vestiges britanniques, preuves de l’engouement des Anglais pour cette destination de vacances hivernales à partir du milieu du XIXe siècle. L’idéal pour une excursion hors saison.



Par Thomas Doustaly
Publié le 23 janvier 2020

Qui se souvient du duc d’Albany ? Ce rejeton royal, dernier fils et huitième enfant de Victoria, fut envoyé à Cannes (Alpes-Maritimes) pendant l’hiver 1884, par un médecin qui suivait la mode britannique d’alors. Il s’agissait de faire profiter du soleil de la French Riviera les enfants de l’aristocratie dont la santé fragile s’accommodait mal des hivers froids d’Angleterre. Las, le jeune duc était hémophile, et un accident banal, non loin de l’actuel Palais des festivals, provoqua sa mort à 30 ans, par hémorragie. L’église anglicane Saint-Georges, en bas de la Californie, avenue du roi Albert Ier, fut construite en sa mémoire et reçut, dès son achèvement, la visite de la reine endeuillée, en 1887. Enterré au château de Windsor, le prince n’est resté à Cannes que sous la forme d’un gisant de marbre blanc qui nimbe l’église Saint-Georges d’une nostalgie romantique.

Comme la plupart des traces de l’engouement anglais pour la Côte d’Azur entre le milieu du XIXe siècle et la première guerre mondiale, l’église Saint-Georges est aujourd’hui difficile d’accès : devenue catholique dans les années 1970, elle n’est ouverte qu’au moment des offices, mais il faut y aller pour découvrir le quartier de la Californie et profiter des perspectives qui s’ouvrent vers la mer au fil de la balade. Cannes, comme Nice et Menton, regorge de vestiges de ce moment si important dans l’histoire du tourisme moderne où les Britanniques inventèrent la Côte d’Azur comme destination de vacances… en hiver.

Aujourd’hui, c’est surtout pour éviter le surtourisme estival que l’idée de vacances hors saison au bord de la Méditerranée entre Hyères (Var) et la frontière italienne prend tout son sens. Et comme la douceur des hivers ne se dément pas, les hôteliers changent profondément leurs pratiques. Ainsi, les plages des grands hôtels cannois – traditionnellement fermées de novembre à mars – achèvent toutes de faire peau neuve en prévision d’une ouverture 365 jours par an à partir de l’hiver 2020/2021. Les prix jouent aussi : une chambre avec vue sur la Croisette à l’Intercontinental Carlton, proposée à 1 800 euros la nuit en été, divise son prix par quatre en hiver, voire par six dans certaines offres promotionnelles pour passer sous les 300 euros en janvier ou février.

Du Carlton, il suffit de marcher trente minutes vers l’ouest, en passant par le beau marché Forville, pour rejoindre la villa Eléonore-Louise, à l’arrière du 24, avenue du Docteur Picaud. Transformé en copropriété et désormais séparé de la mer par de multiples constructions, ce petit château est la plus ancienne villégiature britannique de la ville. Son bâtisseur, Lord Brougham, voulait à l’origine se rendre en Italie. Bloqué à Cannes, il s’y installa et y vécut jusqu’à sa mort, portant la vie mondaine du petit port de pêche à des sommets qu’il ne quittera plus.

La villa Eléonore-Louise à Cannes.
La villa Eléonore-Louise à Cannes. GILLES TRAVERSO

Prosper Mérimée, Victor Cousin et la moitié du gotha européen vinrent prendre le thé sur la merveilleuse terrasse soutenue par des colonnes ioniques. Henry Brougham a sa statue rue Félix-Faure, et sa tombe au cimetière du Grand Jas, sur les hauteurs de la ville. Dans le carré anglican, la dernière demeure du Lord est surmontée d’une croix colossale entourée de quatre cyprès. Autour de lui gisent de jeunes Anglais et Anglaises de bonnes familles, pour la plupart tuberculeux, que le soleil ne sauva pas mais qui les accompagne pour toujours. Avec le château Vallombrosa ou le château Scott, avenue Maréchal-Juin, le cimetière du Grand Jas est une étape indispensable d’un pèlerinage anglais à Cannes.

Rugby et citron

Il faut être fou pour trouver lugubre un cimetière de bord de mer dans le sud de la France. A Menton, rien n’est plus gai que le cimetière du Vieux-Château. Complètement déglinguées, les tombes anglicanes sont installées à l’emplacement d’une ancienne forteresse médiévale. Les morts jouissent, si l’on ose dire, d’une vue sur la mer à couper le souffle. Qu’on y trouve la dernière demeure de « l’inventeur » du rugby moderne, William Webb Ellis, fleurie comme au premier jour et garnie de maillots exsangues, contribue au charme de l’endroit. De la découverte du quartier de la Condamine – « City of Menton, Edward VII Avenue » indique encore une plaque émaillée –, en passant par l’ancienne église anglicane jusqu’au sublime jardin Serre de la Madone, Menton garde de nombreux souvenirs des Anglais. C’est d’ailleurs en hiver que la ville est à son meilleur, avec la Fête du citron, où se pressent jusqu’à 200 000 visiteurs chaque année, fin février, pour admirer les parades de chars chargés d’agrumes aux mille nuances de jaune et d’orangé.

La vieille ville de Menton avec en arrière-plan le cimetière du Vieux-Château  et ses tombes anglicanes.
La vieille ville de Menton avec en arrière-plan le cimetière du Vieux-Château et ses tombes anglicanes. CHRISTIAN LIONEL-DUPONT / DIVERGENCE

A Nice, l’hôtel Negresco, sur la promenade des Anglais, arriva après la bataille. En 1913, il était trop tard, l’âge d’or des Britanniques dans la ville du Carnaval était passé. Au musée Massena, juste à côté, un portrait de Victoria voisine une affiche publicitaire pour l’Excelsior Hotel Regina, à Nice-Cimiez, construit en 1895 précisément pour loger la souveraine dans son aile ouest. L’hôtel, transformé en appartements dans les années 1930 car trop éloigné de la mer, domine toujours les beaux quartiers. Mais le plus vibrant et fragile héritage de la présence anglaise dans la ville est la petite bibliothèque de l’église anglicane de la rue de la Buffa.

The English-American Library of Nice conserve quelque 20 000 ouvrages dans un sous-sol humide grâce au dévouement de bénévoles, avec 2 000 euros de budget annuel. On peut y emprunter des livres presque chaque jour avant 17 heures, car il faut bien prendre le thé. Les volumes offerts par Somerset Maugham ont leur armoire dédiée, et l’endroit a tout de la caverne d’Ali Baba pour qui aime la littérature. Judit Kiraly et Jean Homsy, les dames qui tiennent la maison à bout de bras, sont exquises… et inquiètes pour l’avenir. Elles espèrent que l’évêque de Gibraltar en Europe, dont dépendent toutes les églises anglicanes du bassin méditerranéen, ou qu’un riche Anglais pourra sauvegarder ce lieu rare où l’esprit souffle.

Peut-être devraient-elles sonner à la porte du Musée d’art classique de Mougins, consacré aux sculptures et objets de l’Antiquité accumulé par Chris Levett, un collectionneur anglais tombé amoureux de ce village accroché sur les hauteurs de Cannes. Chris Levett a créé et mis en scène ce petit bijou un peu hors sol qui rencontre un franc succès. Toujours à Mougins, ce sont encore des Anglais, Mark et Tina Silver, qui possèdent un hôtel spa cinq étoiles tourné vers les montagnes enneigées, le Mas Candille, dont les tarifs sont doux en hiver. A ceux-là, le Brexit ne fait pas peur : « Nous verrons bien… », lâche Mark Silver résigné, dont l’épouse est récemment devenue française, par précaution.

Dans une lettre écrite à Ivan Tourgueniev, Prosper Mérimée avait théorisé, en 1867, les bienfaits de la Côte d’Azur. « Lorsqu’on a passé 40 ans, écrivait-il depuis Cannes, il faut se tenir au soleil le plus souvent qu’on peut. » Il y revendiquait « la sagesse des hirondelles qui changent de pays suivant la saison ». Avant que disparaissent les hirondelles, on peut les imiter et profiter à contre-courant des citrons, des mimosas et des ciels bleu électrique de la French Riviera en hiver.

Carnet de route

Notre journaliste a organisé son voyage avec l’aide du comité régional de tourisme Côte d’Azur France.

Y aller

Paris Nice en TGV à partir de 19 euros en aller simple. Oui.sncf

Se loger

Hôtel Intercontinental Carlton, La Croisette, Cannes. Chambre double à partir de 300 euros hors saison en promotion. Réservation : 04-93-06-40-06. Intercontinental.com

A Cannes, séjour au Radisson Blu 1835 Hotel & Thalasso, aux Thermes Marins, chambre double à partir de 139 euros. Réservation : 04-92-99-73-00. Radissonhotels.com

A Mougins, Le Mas Candille est un 5 étoiles relativement accessible en hiver. Chambre double à partir de 180 euros. Le restaurant principal de l’hôtel a une étoile Michelin. Réservation : 04-92-28-43-43. Lemascandille.com

A voir, à faire

Le French Riviera Pass propose un accès gratuit ou à tarif réduit à 60 sites et activités ainsi qu’aux transports à Nice, Cannes et leurs environs pour 24, 48 ou 72 heures. A partir de 26 euros. Informations : Frenchrivierapass.com

A Menton, le quartier de la Condamine et le cimetière du Vieux-Château. Menton-riviera-merveilles.fr. La 87e Fête du citron aura lieu cette année du 15 février au 3 mars. Fete-du-citron.com

A Nice, balade entre le New Borrough et la Promenade des Anglais en passant par le Musée Massena et l’église anglicane. Monter aussi à Cimiez pour découvrir l’Excelsior Régina Palace. Nicetourisme.com

A Cannes, la villa Eléonore-Louise et le château Scott sont des propriétés privées, que l’on peut voir sans y entrer. L’église anglicane Saint-Georges, avenue du roi Albert Ier, est ouverte aux heures des offices. Ne pas manquer l’immense cimetière du Grand Jas, son carré anglican et la tombe de Lord Brougham. Cannes-destination.com

A Mougins, outre le Mas Candille, ne pas manquer le Musée d’art classique, étonnant. Mougins-tourisme.fr et Mouginsmusee.com

LE MONDE

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire