Fiona Kidman |
«Albert Black», ou les derniers sursauts de la peine de mort en Nouvelle-Zélande
Fiona Kidman raconte le procès, en 1955, d’un jeune immigré irlandais qui sera l’avant-dernier condamné à mort du pays
Christine MattheyPublié samedi 21 août 2021 à 17:52
Modifié samedi 21 août 2021 à 17:52
L’écrivaine néo-zélandaise Fiona Kidman a choisi de raconter un procès qui commence en octobre 1955, celui d’un jeune immigré irlandais qui sera – presque – le dernier condamné à mort de son pays. Le travail accompli par son avocat en faveur de l’abolition de la peine de mort finira par porter ses fruits, mais trop tard pour Albert. Après lui, il n’y aura plus qu’une seule pendaison avant l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement travailliste en 1957-1960. Fiona Kidman reconstruit minutieusement le parcours du jeune homme, parti trop jeune de Belfast, à contrecœur, mais elle tente aussi de retracer l’enquête expéditive qui suit son geste malheureux.
Bien sûr, il s’agit d’un roman. Mais Fiona Kidman (autrice néo-zélandaise née en 1940) développe intelligemment ses personnages à l’aide de nombreux témoignages, mais aussi des archives cinématographiques de Nouvelle-Zélande, ou encore de retranscriptions de Radio New Zealand. Elle parvient à transformer une histoire pourtant connue – le livre débute d’ailleurs dans la cellule d’Albert Black – en récit haletant. Comme dans les films de procès, même si l’issue laisse peu de doutes, la qualité de l’écriture et des dialogues entretient le suspense jusqu’au bout.
La cause pas si perdue d’Albert Black
Mais le plus intéressant, dans toute l’affaire, c’est le climat social dépeint par Fiona Kidman, et l’épouvantable racisme qui étouffe la Nouvelle-Zélande au milieu du siècle dernier: les «douze hommes droits et sincères» qui constituent le jury de la Cour suprême d’Auckland ne sauront pas y échapper, malgré les tentatives d’une très petite minorité d’entre eux. L’atmosphère est menaçante, étouffante, il faut voir que les immigrés ont très mauvaise presse, rien de bon ne peut découler de leur arrivée dans le pays. Et puis, la peine de mort vient d’être rétablie, en 1950, grâce au procureur général en poste qui en fait sa fierté.
A la douleur de l’exil qui étreint le cœur d’Albert Black, lui qui donnerait tout pour revoir son pays et sa famille, répond un puritanisme dépourvu de tout sentiment, si ce n’est la haine de l’étranger. Les manquements et les contradictions de l’enquête se lisent sous cette loupe déformante d’un a priori sur les nouveaux arrivants étrangers, il ne peut y avoir de deuxième chance.
Jugement avec préméditation
Le procès ressemble d’ailleurs, sous la plume de Fiona Kidman, à la lecture d’un scénario déjà écrit, comme si on avait fait la leçon aux témoins: «Les événements de la soirée sont répétés une nouvelle fois, comment Paddy (Albert Black) est tombé sur Rita et Johnny qui s’embrassaient sur la véranda, la bagarre qui a suivi. C’est devenu presque une litanie, comme dans une chanson de western, où chaque strophe raconte un chapitre de l’histoire, mais le refrain se répète encore et encore, retournant toujours au même point.» C’est comme s’il était impossible pour le jeune Irlandais d’échapper à la sentence, son meurtre ne peut qu’être prémédité. La vérité importe peu, comme le dit un des jurés «un bon Néo-Zélandais ne ferait jamais une chose pareille». Le préjugé n’aura jamais si bien démontré sa malfaisance que sous la plume de Fiona Kidman. Et le roman toute sa force: une équipe de juristes serait en passe d’obtenir la révision de la condamnation d’Albert Black.
Roman
Fiona Kidman
«Albert Black»
Ed. Sabine Wespieser
Traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Dominique Goy-Blanquet
354 pages
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