« La Vérité sur la lumière » – L’homme est un enfant qui joue avec l’interrupteur
Camille GhoDans La Vérité sur la lumière, Auður Ava Ólafsdóttir réussit à mêler avec brio les voix et les sujets pour poser une question centrale : que fait l’humain sur Terre ?
La Vérité sur la lumière, nouveau roman de l’Islandaise Auður Ava Ólafsdóttir ne fait pas exception : après Rosa Candida et Miss Islande (prix Médicis étranger 2019), c’est à nouveau une figure féminine forte qui est mise au premier plan. Et Dýja, l’héroïne transmet même plusieurs voix – celles de ses aïeules.
On ne sait pas grand chose à propos de la narratrice. Elle dévoile les informations au compte-goutte, petit à petit. Si elle manie le je de la narration, le roman n’est pas seulement à propos d’elle.
Une lignée de sages-femmes
Dýja est un diminutif – son vrai prénom est Dómhildur. Le même que sa grande-tante, surnommée tante Fífa. Dans cette famille, on donne aux nouvelles-nées le prénom d’une sage-femme célibataire de la famille. C’est la tradition. Dýja ne fait pas exception ; et lorsque, plus tard, elle devient à son tour sage-femme, la nouvelle s’impose comme une évidence auprès de la famille. Sa tante la prend alors sous son aile, l’héberge dans son appartement. Et jusqu’à la fin de sa vie, lui parle de l’importance du métier de sage-femme. Dýja accouche au long de sa carrière 1922 bébés. Sa grande-tante 5077.
« J’accueille l’enfant à sa naissance, je le soulève de terre et le présente au monde. Je suis la mère de la lumière. De tous les mots de notre langue, je suis le plus beau – ljósmoðir. »
La Vérité sur la lumière, Auður Ava Ólafsdóttir.
Les voix et les histoires de sa grande-tante, mais aussi de son arrière-grand-mère se mêlent à son récit. Plus tard, par les écrits de cette arrière-grand-mère, les voix d’autres sages-femmes islandaises se font entendre. Elles peignent ainsi non seulement le portrait d’un métier où les hommes occupent une place minimale, mais aussi la beauté de leur pays.
À l’aide de sa toponymie, comme toujours, extrêmement précise, Auður Ava Ólafsdóttir fait de La Vérité sur la lumière une ode à l’Islande et à ses brusques changements d’humeur météorologiques. Et en liant intimement le récit de son héroïne face à ces déchaînements. Car comme le dit la tante Fífa, rien n’est laissé au hasard.
La vérité sur l’homme
Ou plutôt la vérité de tante Fífa. Car ce roman n’est pas seulement le récit de la naissance de bébés ; il est aussi celui de la genèse de l’écriture. La grande-tante lègue à sa petite-nièce un carton rempli de manuscrits. Trois « brouillons » de livres qui mettent en lumière une toute autre personne que celle que Dýja a connu de son vivant.
Fífa livre une réflexion souvent désenchantée et « à la fois en avance et en retard sur son temps » sur l’homme, sa place dans l’équilibre du monde et son impact désastreux sur ce dernier. Ces réflexions et le dur travail d’écriture se mêle aux petites révélations amenées par le présent de narration de Dýja, et qui permettent aux lecteur.ice.s de mieux les comprendre, elle et sa tante. Les propos que tient cette dernière paraissent parfois en rupture totale avec son métier – qu’elle pratiquait pourtant avec assiduité. Mais les rebondissements et inserts de plus en plus fréquents à partir du milieu du roman permettent de mieux saisir la teneur de ses propos.
« En réalité, l’animal le plus précaire de la Terre ne se remet jamais d’être né. »
La Vérité sur la lumière, Auður Ava Ólafsdóttir.
Les manuscrits de la grande-tante sont de plus en plus défaitistes. Et ses inquiétudes se retrouvent dans notre réalité : l’instabilité de l’homme est la cause principale du déclin de notre planète. « Quand l’humanité se sera éteinte restera la lumière. » La fin du roman célèbre cette lumière qui n’a pas besoin de l’homme.
AUÐUR AVA ÓLAFSDÓTTIRLa vérité sur la lumière
Roman traduit de l’islandais par Éric Boury
Issue d’une lignée de sages-femmes, Dýja est à son tour « mère de la lumière ». Ses parents dirigent des pompes funèbres, sa sœur est météorologue : naître, mourir, et au milieu quelques tempêtes.
Alors qu’un ouragan menace, Dýja aide à mettre au monde son 1922e bébé. Elle apprivoise l’appartement hérité de sa grand-tante, avec ses meubles vintage, ses ampoules qui clignotent et un carton à bananes rempli de manuscrits. Car tante Fífa a poursuivi l’œuvre de l’arrière-grand-mère, insérant les récits de ces femmes qui parcouraient la lande dans le blizzard à ses propres réflexions aussi fantasques que visionnaires sur la planète, la vie – et la lumière.
Sous les combles, un touriste australien semble venu des antipodes simplement pour faire le point. Décidément, l’être humain est l’animal le plus vulnérable de la Terre, le fil ténu qui relie à la vie aussi fragile qu’une aurore boréale.
AUÐUR AVA ÓLAFSDÓTTIRExplorant avec grâce les troublantes drôleries de l’inconstance humaine, Auður Ava Ólafsdóttir poursuit, depuis Rosa candida, une œuvre d’une grande finesse, qui lui a valu notamment le Nordic Council Literature Prize, la plus haute distinction décernée à un écrivain des cinq pays nordiques. Encensée par la presse, elle est aussi la lauréate de l’Íslensku bókmenntaverðlaunin, le plus prestigieux prix littéraire islandais, pour Ör, et du Prix Médicis étranger pour Miss Islande.
« Révélée au public français grâce à Rosa candida, l’Islandaise Auður Ava Ólafsdóttir possède l’art de dire les choses compliquées avec des mots simples. Celui aussi de suggérer l’émerveillement devant le miracle quotidien de l’existence. » – Elena Balzamo, Le Monde des Livres.
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