“Mademoiselle” : avec son thriller érotique, Park Chan-wook ne baisse pas la garde
Pierre Murat
Publié le 14/05/2016. Mis à jour le 15/05/2016 à 17h32.
Le réalisateur d“Old Boy” met en scène avec un plaisir sadique et une mise en scène clinquante un jeu de dupe dans la Corée des années 30. Thriller érotique efficace et intelligent, “Mademoiselle” est présenté en compétition à Cannes.
Park Chan-wook assagi ? Devenu « classieux », plutôt, avec pour but, désormais, l'élégance et non plus la violence. Tout de même, à la fin de Mademoiselle, pour se (et nous) rassurer, pour se (et nous) prouver qu'il n'a pas changé, il organise une jolie petite séance de doigts et de phalanges coupés, et même une menace, tout juste évitée, de castration. Comme dit le héros, philosophe : « Je meurs, mais avec ma bite entière »… Avec Park Chan-wook, il faut savoir se contenter de peu...
Donc, avec pour base un roman anglais, Du bout des doigts, de Sarah Waters, transposé dans la Corée des années 30, occupée par le Japon, le cinéaste se livre à un plaisant jeu de dupes où des manipulateurs manipulent des manipulés plus manipulateurs qu'eux. Avec un peu plus de rigueur dans la mise en scène (mais Park Chan-wook et la rigueur…) et des dialogues plus mordants, on se croirait chez Mankiewicz : comme dans Eve ou L'Affaire Cicéron, les mots sont des menaces et les sentiments, des pièges.
Un escroc qui se fait passer pour noble fait engager une jeune Coréenne – visage d'ange et âme noire – comme servante d'une jeune Japonaise riche, plus ou moins séquestrée par un oncle érotomane et bibliophile. Mission de la Coréenne : convaincre sa maîtresse d'épouser le bel escroc qui l'arracherait, ainsi, des griffes du fan du marquis de Sade. Défense de lui révéler, bien sur, qu'une fois mariée, elle atterrirait dans un asile de fous pour que l'escroc, enfin riche, fasse les quatre cents coups avec sa fortune. Mais rien ne va se passer comme prévu...
Vitesse grand V et panos circulaires
Vitesse grand V et panos circulaires
On mesure le plaisir du réalisateur à montrer des Coréens se jouer de ses ennemis de l'époque. Mais on voit, surtout, son bonheur à jouer avec tous les moyens magiques qu'offre le cinéma pour raconter une histoire romanesque, extravagante et spectaculaire. A lui les travellings arrière, vitesse grand V, les panos circulaires, et même les zooms : qu'ils soient les plus voyants du monde ne le gêne pas du tout. Et cette histoire, il l'interrompt – pour raconter le passé d'un des personnages, par exemple. Et il la dédouble, suivant la version des divers narrateurs.
On a cité Mankiewicz, et c'est exagéré. C'est l'ambiance de deux réalisateurs moins prestigieux, mais passionnants, que rappelle Mademoiselle. Et notamment un film à la même esthétique agressive, à la même sensualité équivoque, à la même ironie devant l'inutilité des hommes face au pouvoir des femmes. Ce film, c'est Bound (1996), des frères Wachowski – Andy et Larry – devenus, depuis, comme chacun sait, deux sœurs, Lana et Lili… Plane sur Mademoiselle une sensualité trouble qui ajoute au charme de ce thriller efficace et intelligent.
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