dimanche 16 octobre 2022

Rencontre avec le poète Roger Robinson, lauréat du prix T.S. Eliot 2019

 


Le poète Roger Robinson, lauréat du prix T.S. Eliot 2019. Photo de Naomo Woodis, utilisée avec autorisation.


Rencontre avec le poète Roger Robinson, lauréat du prix T.S. Eliot 2019



Traduction publiée le 02/03/2020 

Le 13 janvier 2020, le poète britannico-trinidadien Roger Robinson a remporté le prix T.S. Eliot pour son recueil de poèmes A Portable Paradise, paru en 2019. Cette distinction récompense « le meilleur recueil de poèmes récent, rédigé en langue anglaise et publié initialement au Royaume-Uni ou en Irlande ».

Le jury a encensé l’œuvre de Roger Robinson, « qui démontre à plusieurs reprises que la morosité du quotidien n’affecte en rien la beauté de la vie ».

Le recueil comporte cinq parties qui se concluent chacune par un poème explorant le thème du paradis. Le terrible incendie de la tour Grenfell [fr] à Londres figure parmi les sujets évoqués, tout comme le scandale de la génération Windrush [fr]. Le poète aborde franchement les thématiques de la migration, du racisme, de l’identité et de l’injustice.

Qu’est-ce qui pousse le lecteur à vouloir comprendre où Robinson veut en venir ? Est-ce le ton mordant de la contestation ? Serait-ce l'attraction de cette petite pointe d’arrogance qui caractériserait les Caribéens ? Quoi qu’il en soit, le poète réussit magistralement à nous transporter avec lui au cœur des événements, tout en demeurant un témoin sincère. Ce recueil est un remède contre la morosité du quotidien : l’auteur y fait preuve de compassion en reconnaissant notre humanité commune, avec pour fil rouge un ton presque contrit dans sa dignité, même devant notre impuissance.

J’ai contacté Roger Robinson peu de temps après la remise du prix T.S. Eliot 2019. Nous avons échangé par courrier électronique sur sa consécration, son recueil de poèmes et l’importance de l’empathie.

Janine Mendes-Franco (JMF) : Félicitations pour A Portable Paradise ! C’est une œuvre très importante. Pensiez-vous pouvoir remporter ce prix ou cette victoire vous a-t-elle surpris ?


Roger Robinson (RR) : Je n’ai jamais été obnibulé par les prix, mais je suis heureux d’avoir reçu cette récompense. Ce qui me préoccupe, c’est davantage le fait d’écrire des poèmes qui seront lus que d’obtenir des prix. Cependant, j’apprécie sincèrement cette distinction, grâce à laquelle mes poèmes pourront trouver un nouveau public.

JMF : Curieusement, T.S. Eliot avait choisi de vivre et de travailler en Angleterre, alors qu’il était né aux États-Unis. Vous, vous êtes né en Angleterre et êtes retourné à Trinité-et-Tobago durant votre enfance, avant de vous installer définitivement au Royaume-Uni. Aviez-vous déjà effectué ce rapprochement ? Par ailleurs, vous êtes-vous déjà interrogé sur la raison pour laquelle Trinité-et-Tobago serait, par exemple, un lieu idéal pour la formation, mais un endroit moins propice à la création que l’Angleterre ?


RR : Hmm… intéressant. Je pense que Trinité-et-Tobago est aussi un lieu de création. En revanche, l’Angleterre constitue une meilleure option pour ceux qui souhaitent faire des affaires et accéder au secteur international de l’édition.

JMF : Le Guardian vous a décrit comme étant un « dub poet (poète dub) britannico-trinidadien ». Cette étiquette vous convient-elle ? Comment présenteriez-vous la poésie « dub » à quelqu’un qui ne connaîtrait ni ce genre musical [fr], ni le spoken word (poésie performative) ?


RR : J’ai enregistré quelques albums de dub. Il me semble que d’autres personnes m’ont déjà qualifié de poète dub ; pour autant, ce n’est pas ainsi que je me définis. Pour moi, la dub poetry est une forme de poésie à la fois influencée par les rythmes du reggae et sensible à la cause ouvrière.

JMF : Que la musique ait joué un rôle aussi important n’est guère surprenant. Vous faites partie du groupe King Midas Sound, vous avez enregistré des chansons et tourné des clips… De plus, vos poèmes ont cette musicalité qui tient le lecteur en haleine, même s’il est évident que tous les poèmes ont leur propre rythme. Comment avez-vous créé ce style unique qui parait si authentique ?

RR : Je ne sais pas. Je dirais que j’écris sur les thèmes qui m’intéressent à un moment donné et que je m’y tiens. Je ne pense pas que c'était prémédité. J'ai réussi à parfaire mon art grâce à ma passion et à une pratique rigoureuse.

JMF : Se faire chantre de la vérité est un pari osé, surtout lorsque l’on sait que celle-ci n'est pas facile à atteindre. Une partie de votre œuvre se situe quasiment à la frontière entre deux genres : le journalisme et la poésie. Est-ce important que vos recueils soient lus par des gens qui ne partagent pas votre vision de la « vérité » ?


RR : Je pense que mes poèmes reflètent ma personnalité, donc je n’apporte rien de plus que mes propres interprétations. Les gens qui ont une autre vision de la vérité ne devraient pas nécessairement lire mes recueils. Toutefois, l’idée que des personnes puissent développer de l’empathie et en faire preuve me plaît. Il serait plus intéressant que nous développions cette faculté.

JMF : Aviez-vous des certitudes sur vous-même à Trinité-et-Tobago (j’imagine qu’il s’agissait de votre vision du paradis) qui se sont effondrées au Royaume-Uni ? Si tel est le cas, la poésie a-t-elle permis de combler ce fossé ? Comment en êtes-vous arrivé à penser que l’on pouvait transporter le paradis ?


RR : Premièrement, cette idée m’est venue à l’esprit parce que je voulais qu’elle soit réelle. C'est aussi à cause du parcours de ma grand-mère, qui s'est installé en Angleterre. Elle a réussi à faire venir presque tous ses enfants (ils étaient au nombre de onze) grâce à l’argent qu’elle gagnait en cousant des robes. Ils étaient son paradis à elle.

Je pense que c’est en Angleterre que je me suis découvert en tant qu’artiste international. Je n’avais pas encore conscience de cela à Trinité-et-Tobago.

JMF : Dans ce recueil, un bon nombre de poèmes semblent sous-tendus par la foi en quelque chose de plus grand, qui ressemble à un paradis plus permanent, pour ainsi dire. Quel effet souhaitiez-vous produire par ces références ?


RR : Je voulais que les gens comprennent à quel point la prière peut être une arme redoutable quand nous faisons face à des traumatismes.

JMF : Souvent, le « héros » de vos poèmes représente la figure de l’opprimé, plus particulièrement celle du migrant. Dans quelle mesure votre vécu en tant qu'étranger influence-t-elle vos écrits ?


RR : Hmm… Je ne saurais le dire. Je n’ai pas le recul nécessaire. Je suis sûr que cela a une influence. Ce que je veux dire, c’est qu’à mon arrivée en Angleterre, j’ai vécu dans des barres d'immeubles, donc j'ai su ce que c’était. Je suppose que cela m’a donné une autre vision des choses.

JMF : J’ai entendu dire que vous serez à Trinité-et-Tobago pour l'édition 2020 du Bocas Lit FestSouhaiteriez-vous collaborer avec d’autres auteurs caribéens ?


RR : En effet, je serai présent au Bocas et j’ai hâte de rencontrer d’autres écrivains. Certains poètes trinidadiens commencent à se faire un nom sur la scène mondiale. Je pense notamment à Andre Bagoo, Shivanee Ramlochan et Muhammad Muwakil. Ce serait formidable de faire connaissance avec les auteurs caribéens qui seront à Trinité-et-Tobago.

JMF : Quelles sont les personnes qui vous inspirent le plus ?


RR : Des poètes comme Kwame Dawes, Linton Kwesi Johnson [fr] et Sharon Olds ; des personnes comme Mohamed Ali [fr] et des musiciens comme David Rudder, Brother Resistance et Bunji Garlin.

JMF : La poésie reste un genre littéraire confidentiel à Trinité-et-Tobago. Néanmoins, elle parvient à se trouver une place entre la soca [fr], le rapso et les prestations de spoken word. Ces formes d’expression artistiques ne sont pas sans rappeler la tradition de la calinda [fr] (art martial) et ses chants à répondre. C‘est tout cela, la poésie caribéenne, d‘une certaine façon… À votre avis, pourquoi la poésie dégage-t-elle autant de puissance ?


RR : Je pense que la poésie possède en elle cette puissance qui développe l'empathie. Ce sont aussi les poèmes qui nous permettent d'observer la vulnérabilité de l’être humain. L’absence d’empathie et de vulnérabilité débouche souvent sur la cruauté.

JMF : Quel conseil donneriez-vous aux poètes de la région ?


RR : Continuez à écrire sans vous soucier des opinions des uns et des autres ; n’abandonnez jamais l'écriture.

JMF : Quelle est votre plus grande fierté en pensant à ce recueil ?


RR : C’est le fait de m'y être consacré pleinement. J'y ai mis beaucoup de cœur.


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