« Demandez pardon ! » Manifestations et demandes de réparations pour l'esclavage au cœur de la visite du couple royal en Jamaïque
«Dite che vi dispiace!» / Visita reale in Giamaica scatena proteste e richieste di risarcimenti per la schiavitù (Dante)
La tournée officielle dans les Caraïbes du couple royal à l'occasion du jubilé de platine de la Reine Elizabeth II a provoqué une vague importante de controverses. Avant même son arrivée, des manifestants s'étaient rassemblés devant le haut-commissariat britannique afin d'exiger des excuses de la part de la famille royale britannique pour avoir encouragé l'esclavage (qui prit fin en 1830 en Jamaïque) et de demander des réparations pour les torts commis sous l'ère coloniale.
La visite du Belize, pays du Commonwealth situé en Amérique centrale et première étape de la tournée, s'était plutôt bien passée quoiqu'une manifestation de villageois avait dû contraindre le couple royal à modifier son programme. Une écrivaine britannique s'est exprimée sur l'incident :
Je suis vraiment impressionné par Q’eqchi Maya, un petit groupe de personnes qui ont tenu tête à une énorme organisation et à la puissance de la machine royale, et qui ont réussi à faire annuler la visite forcée dans leur village.
Si seulement nous faisions tous preuve de moins de complaisance et de plus de courage !
Pendant ce temps en Jamaïque, Wayne Chen, administrateur dans le secteur de la santé, a partagé une photo sur Twitter qui a suscité de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux. Elle montre la duchesse de Cambridge lors de son arrivée à l'aéroport avec à ses côtés Kamina Johnson Smith, la ministre des Affaires étrangères de la Jamaïque (à gauche de la photo), et Lisa Hanna, la représentante du Parti national populaire (PNP) qui semble ignorer Kate Middleton :
Une Lettre ouverte adressée à William et Kate, publiée le 20 mars et rédigée par « Advocates Network » qui lutte « pour les droits humains et pour une bonne gouvernance dans le but d'améliorer les conditions socioéconomiques des Jamaïcains et transformer leurs vies. », est à l'origine des manifestations de la population locale. Une centaine de Jamaïcains (y compris l'auteur de ce message) ont signé la lettre :
Patricia Phillips et la professeure Rosalea Hamilton ont remis la lettre au Haut-commissariat britannique, laquelle contient une liste de « 60 raisons », y compris un recueil d'atrocités commises durant la traite des esclaves. Des membres de la communauté rastafari, des universitaires, musiciens et artistes faisaient partie du groupe de manifestants. Ka'Bu Ma'at Kheru, animateur sur la radio Irie FM de la populaire émission « Running Africa Forum » a posté sur Facebook :
Le 23 mars, durant la brève visite du couple royal à Montego bay, l'un des responsables de la Coral Gardens Benevolent Society a déclaré que la monarchie « nous doit des millions, des milliards, des milliers de milliards de dollars. »
Ras Iyah de la Rastafari Coral Gardens Benevolent Society exprime son mécontentement après que la police ait demandé au groupe de manifestants de ne pas montrer une banderole demandant des réparations aux Britanniques. Les manifestants protestent près de l'infanterie de Cambridge, étape de la visite du couple royal à St James.
— Jamaica Observer (@JamaicaObserver) 23 mars 2022
Le mouvement des femmes du parti de l'opposition a adressé une lettre ouverte à la duchesse de Cambridge :
La visite a attiré beaucoup d'attention de la part des médias étrangers, et plus particulièrement de la part de la presse britannique ainsi que de la presse écrite et des médias des États-Unis, de l'Australie et du Canada qui pour la plupart avaient envoyé des journalistes sur place. La couverture médiatique des « spécialistes de la royauté » était, comme on pouvait s'y attendre, élogieuse et positive contrairement à celle d'autres journalistes.
Des utilisateurs de réseaux sociaux discutant de la visite royale à la communauté de Trench Town étaient aussi sur le coup :
« Qui a pensé que c’était une bonne séance photo ? pic.twitter.com/AAQjLh3WrQ
- chris evans(@notcapnamerica) 23 mars, 2022
Bert Samuels, avocat de renom et panafricaniste, a déclaré :
William « nous tremblons à chaque fois que nous entendons un claquement de fouet, lorsque nous nous rappelons de la manière dont vous avez maltraité nos âmes »
« So Bob seh down a trench town weh dem a host u » https://t.co/7LrSVIlj9Y
— Bert Samuels (@BertSamuels) 22 mars 2022
Au cours de la deuxième journée de la visite royale, le Premier ministre Andrew Holness durant une séance photo a déclaré au duc et à la duchesse que la Jamaïque envisageait « de passer à autre chose » et de renoncer à la monarchie pour devenir une république, tout comme la Barbade l'an passé :
« (1/4) J'ai été enchanté ce matin d'accueillir le duc et la duchesse de Cambridge, le prince William et Kate Middleton en Jamaïque et dans les bureaux du Premier ministre pour une visite de courtoisie. » pic.twitter.com/vAq7bznWet
- Andrew Holness (@AndrewHolnessJM) 23 mars 2022
Revenant sur les remarques de l'ancien Premier ministre britannique David Cameron lors d'une visite en 2015 invitant les Jamaïcains à « passer à autre chose » et « oublier » l'esclavage (des paroles qui à l'époque avaient suscité énormément de colère), Dennis Jones, économiste retraité et blogueur jamaïcain a déclaré sèchement :
« Je suppose que toutes les déclarations de « passer à autre chose » n'ont pas la même signification » https://t.co/XfPQRaPkCe
— Dennis G Jones (@dennisgjones) 13 mars 2022
Sean Major Campbell, prêtre anglican et membre de « Advocates Network » a adressé une lettre au « Jamaica Gleaner » (journal jamaïcain) dans laquelle il rappelle que Cameron « avait fait preuve d'un manque de décence, d'intelligence émotionnelle, et de sensibilité envers la douleur et la souffrance endurées par nos ancêtres vénérés et envers les esclaves émancipés qui n'ont jamais été compensés pour avoir contribué pendant des siècles à la prospérité de la Grande-Bretagne aux dépens de leurs vies et de traitements inhumains. »
Cependant, malgré les manifestations, les deux premiers jours de la visite se sont plutôt déroulés dans la convivialité, lorsque la Jamaïque accueillit le couple royal avec son hospitalité et sa courtoisie légendaires.
Un Jamaïcain a tweeté avec ironie que :
« Les Jamaïcains adorent les étrangers. C'est dans notre ADN de les accueillir comme il faut même si on ne les aime pas. » RoyalVisitJamaica
- Roger 876 (@roger_goodwill) 23 mars 2022
Cependant si beaucoup avaient espéré des excuses de la part du Prince William durant son discours, ils furent très déçus. Bien qu'il ait exprimé du regret, il ne s'est pas excusé. Le 23 mars, lors d'une réception à King's House (résidence du Gouverneur général qui est aussi Chef d'Etat de la Jamaïque), Fae Ellington, journaliste réputée, a déclaré :
Le prince William dans sa réponse au dîner à la maison du roi affirme qu’il veut exprimer sa profonde tristesse : « l'esclavage était odieux et n'aurait jamais dû avoir lieu. » @KensingtonRoyal
— Fae A. Ellington (@FaeEllington) 24 mars 2022
Un Jamaïcain a répondu de manière abrupte :
Ce n’est pas une excuse. « Essayez plutôt « mes ancêtres n'étaient qu'une bande de criminels et je suis désolé si leur cupidité les a conduits à être à l'origine de 400 ans d'esclavage. »
- Chloe x Halle locs stan (@MsNeedsaBreak) 24 mars 2022
Verene Shepherd, professeure d'histoire à l'université des Indes occidentales et présidente de la Commission nationale pour les Réparations, a participé à une émission d'affaires publiques télévisée en Jamaïque au cours de laquelle la question a été posée de savoir si les Jamaïcains comprenaient vraiment leur histoire, et le lien entre le colonialisme, l'esclavage et la monarchie britannique :
>a href=”https://twitter.com/djmillerJA?ref_src=twsrc%5Etfw”>@djmillerJA,
Dans le contexte de certaines des questions et observations soulevées par la visite royale, @djmillerJA pose la question suivante : avons-nous échoué dans la manière avec laquelle nous enseignons l'histoire, notre histoire ? #TVJAllAngles #Jamaica pic.twitter.com/RIH80eaeV7
- Susan Goffe (@suezeecue) 24 mars 2022
Une chargée des relations publiques jamaïcaine a résumé la situation en quelques lignes :
Pourquoi attendons-nous toujours des excuses de la part des Britanniques ? Selon la professeure Verene Shepherd,
une excuse comporte trois dimensions :
- Vous assumez la responsabilité de vos actions
- Vous vous engagez à ne pas les répéter
- Vous promettez de les réparer
Le couple royal a quitté la Jamaïque le 24 mars pour se rendre aux Bahamas où des demandes de réparations ont déjà été formulées; un Jamaïcain, peu surpris que la dernière étape de la tournée royale ait un air de déjà-vu, a tweeté :
Personne ne veut laisser tomber le bâton dans cette course de relais.
De Bélize aux Bahamas en passant par la Jamaïque.
— Mariw…grown (@inezwil) 22 mars 2022
Le duc et la duchesse peuvent s'attendre à d'autres manifestations lors de la fin de leur tournée royale :
Le prêtre Rithmond Mckinney, ambassadeur royal de Ethiopia Africa Black International Congress, réagit à la visite royale en déclarant que les rastafariens se sentent toujours opprimés et comptent bien manifester durant la tournée du duc et de la duchesse de Cambridge. pic.twitter.com/jOOO1hVAEF
— OURnews Bahamas (@OurNewsRev) 22 mars 2022
Toutefois, tous les Jamaïcains ne défendent pas la position de Advocates Network. Pour ceux qui n'ont pas accès aux réseaux sociaux, c'est juste une question de « laisser tomber », alors que d'autres affichent leur soutien à la monarchie :
Je ne pense vraiment pas qu'il ait besoin de s'excuser pour la traite des esclaves car la génération actuelle n'est pas responsable des actions passées. Et je mets au défi mon peuple de laisser tomber. C'est arrivé ! Et on ne peut rien y changer ; nous devons l'accepter et passer à autre chose.
— Kurt Riley (@kurtbartough) 24 mars 2022
Alors que le Gouvernement jamaïcain réfléchit aux prochaines étapes qui lui permettraient de renoncer à la monarchie et de devenir une république, une telle ambivalence de la part d'une éventuelle « majorité silencieuse » pourrait se révéler lors d'un référendum sur le sujet. Toutefois, étant donné qu'à l'heure actuelle rien n'a encore été décidé, il est difficile de prévoir si les Jamaïcains feront bientôt leurs adieux à la monarchie.
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