« Passion simple » – Sensuel et sans suite
Diane LestageEn adaptant le court livre d’ Annie Ernaux, Passion simple, la réalisatrice Danielle Arbid réussit à retranscrire cinématographiquement l’écriture brut et authentique de l’autrice. Charnel et incarné, Passion simple est l’histoire d’une femme qui attend un homme.
Le visage de Laetitia Dosch. Ses yeux embués. La caméra tournoie autour d’elle. On peut lire dans les yeux de son personnage la tristesse et la résignation. Cette femme se raconte. Pendant plusieurs mois, toute sa vie quotidienne a tourné autour d’un homme, rythmée par la sonnerie du téléphone, et le bruit de moteur de sa voiture annonçant son arrivée. Très vite, la confidence littéraire laisse place à la jouissance. Danielle Arbid fait glisser son objectif entre les peaux qui s’agrippent, effleurant les chairs. Tandis que, les gémissements de plaisir se mêlent aux souffles des amants. Le temps est arrêté, seul compte ces corps imbriqués.
Par cette scène de sexe inaugurale, la réalisatrice installe le décor narratif et temporel du film. Une temporalité égoïste donnée par le personnage d’Hélène, professeure à l’Université et mère divorcée. La cinéaste décortique à l’image les étapes de la passion amoureuse qui embrase le corps et le cœur de la protagoniste jusqu’à l’obsession. Le diplomate russe marié (incarné par le danseur Sergei Polunin) qui lui fait perdre la tête, devient l’objet et l’instigateur des habitudes d’Hélène. Passion simple se découpe en deux espaces, le physique et le mental. D’abord celui amenant la présence de l’homme : téléphone, cérémonial de préparation, arrivée, sexe, et départ. Et le temps de l’absence où il vient s’infiltrer dans la vie réelle occupant la moindre pensée et le plus petit geste de la vie banale.
« À partir du mois de septembre de l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme : qu’il me téléphone et qu’il vienne chez moi. »
Passion simple, Annie Ernaux, Gallimard
Corps à cœur
La cinéaste capture en alternance le tourbillon de l’ivresse fiévreuse à la solitude obsessionnelle. L’état des lieux amoureux disséqué par l’écriture brute et factuelle d’Annie Ernaux est ici directement incarné par Laetitia Dosch, marqué sur son corps, lisible dans son regard. En diapason plusieurs chansons d’amour parsèment le long-métrage marquant les étapes de l’évolution sentimentale et l’agitation perpétuelle d’Hélène. De « C’est merveilleux l’amour » de Gilbert Bécaud à « If You Go Away » de Rod McKuenen passant par « I Want You » de Bob Dylan. Cette bande-son retranscrit ces vertiges de l’amour, apparaissant ici comme des chorégraphies sensuelles.
Aimer déraisonnablement sans explication dans cette lumière de fin d’après-midi captée par la pellicule. C’est de ça dont il est question dans cette adaptation, sixième long-métrage de Danielle Arbid où pour la première fois, elle n’évoque pas ses racines libanaises mais poursuit son exploration érotique et sensorielle au cinéma, filmant comme rarement un corps d’homme désiré.
Passion simple apparait finalement comme une traduction filmique et contemporaine de la très célèbre citation d’Alfred de Musset, dans On ne badine pas avec l’amour : « On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois ; mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »
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