mardi 18 juillet 2023

Jane Birkin / «J’ai appelé Serge. À l’autre bout du fil, je n’ai entendu qu’un sanglot»

Jane Birkin, au Festival Fnac Live Paris, en juin 2022.

Jane Birkin: «J’ai appelé Serge. À l’autre bout du fil, je n’ai entendu qu’un sanglot»

 

ENTRETIEN - À l’occasion de la publication d’une intégrale de ses albums en 2022, l’égérie de Gainsbourg avait accordé un entretien au Figaro, où elle évoquait ses envies et ses souvenirs.


Elle était déjà malade mais souhaitait remonter sur scène encore une fois. En 2022, Jane Birkin était célébrée tous azimuts, à commencer par la publication d’une intégrale de ses albums. Mais la tournée prévue pour l’hiver et le printemps sera perturbée par les problèmes de santé de la chanteuse. À la veille de reprendre la route, elle s’était confiée au Figaro, désireuse d’afficher son énergie et bercée par ses souvenirs.

Jane BIRKIN. - C’est un honneur qui n’arrive pas tous les jours! En réalité, je suis assez étonnée: je ne suis pas encore morte. Je ne connais pas le pourquoi de l’affaire. Il y a un livre qui va avec. Et aussi l’album de photos de mon frère, qui sort bientôt. Plus le documentaire télévisé de Didier Varrod. C’est trop, vraiment! Revoir des photos me touche toujours parce qu’elles me rappellent une si jolie époque: il est difficile de ne pas être émue.

Cette intégrale consacre votre parcours de chanteuse. À quel moment vous êtes-vous considérée comme telle?

Le jour de ma première au Bataclan, en 1987. Cette proposition de chanter sur scène émanait de Bertrand de Labbey. Je lui avais répondu «peut-être un jour» mais il insistait. Je l’ai fait parce que j’avais décroché un tube avec la chanson Quoi? Le jour où je me suis retrouvée face au public, avec l’orchestre derrière, je me suis rendu compte que le music-hall était un métier. Et j’ai commencé à prendre ça au sérieux. Jusque-là, j’avais chanté parce que je vivais avec un grand auteur, sans considérer cela comme étant important.

Je ne suis jamais aussi heureuse que sur scène avec mes musiciens. C’est plus facile que la vie parce qu’il n’y a pas de surprise

Jane Birkin

Cette activité est devenue une part très importante de votre vie

Oui, oui. Pour être honnête, je ne suis jamais aussi heureuse que sur scène avec mes musiciens. C’est plus facile que la vie parce qu’il n’y a pas de surprise. Autrefois, j’étais allergique à l’idée de faire la même chose tous les soirs. Aujourd’hui, c’est un réconfort merveilleux. Je sais qu’une heure et demie après le début du concert je serai en route pour mon hôtel. Je suis en sécurité.

Comme dans une bulle?

Oui. Je ne suis pas douée pour les vacances, je n’ai pas de passe-temps, je ne suis pas heureuse seule dans ma maison. Je me retrouve à parler du matin au soir avec mon chien. C’est l’être avec lequel j’ai le plus de conversation. Mes filles Charlotte (Gainsbourg) et Lou (Doillon), ma meilleure copine ou un de mes deux copains sont tout ce qui compte pour moi. Je veux être là où ils sont. Je pense que ça peut leur être pesant. Je suis dépendante de mes amis et de mes filles.

Paradoxalement, maintenant que vous écrivez vos chansons, vous êtes moins dépendante de collaborateurs.

Ça, c’est grâce à l’encouragement d’Étienne Daho. Il a trouvé du mérite dans le texte de ma pièce, Oh! Pardon tu dormais. Il a aussi aimé des choses dans mes journaux intimes. Étienne a conçu la chanson Je voulais être une telle perfection pour toi à la manière d’un cadavre exquis, en enchaînant des pensées qui n’avaient rien à voir les unes avec les autres.

Quel est le plus grand plaisir à chanter sur scène?

Quand on le fait, il y a toujours une ou deux personnes que l’on vise, chez lesquels on guette l’émotion ou le sourire, et c’est une merveille. C’est impossible quand on joue la comédie parce qu’il faut regarder son partenaire. Et, au cinéma, c’est encore autre chose. Mais j’ai tellement perdu l’habitude de la caméra que j’aurais la frousse maintenant. Quand on a donné son maximum, on a l’impression qu’on pourrait mourir juste après. Ce que j’ai appris, c’est qu’il ne faut surtout pas se ménager. Je m’en suis rendu compte en jouant L’Aide-mémoire avec Pierre Arditi. Parfois, nous jouions deux fois dans la journée, avec une heure ou deux heures d’interruption. Je ne me pensais pas capable d’être en larmes à la fin de la première performance et de remettre ça la deuxième fois. Mais c’est possible, parce que l’émotion passe par les mots.

Vous chantez une grande partie de l’album Histoire de Melody Nelson, et le public adore ça…

Serge fait partie de leur vie. Ils font partie de la mienne, et peut-être que je fais un peu partie de la leur. Cet album, j’ai toujours pensé que ça serait le plus grand succès de Serge, ça semblait une évidence. Il a fallu vingt ans pour qu’il soit disque d’or… Même si j’étais sur la pochette et que j’apparaissais sur quelques chansons, je considérais que je n’étais pour rien dans ce disque. Pourtant dès que je raconte les séances de studio londoniennes avec Serge, je sens un frisson dans la salle. C’est comme s’ils avaient du rab de Serge, un cadeau ou une troisième mi-temps.

J’interprète des titres que je n’ai pas chantés depuis longtemps en les mélangeant avec les récents

Jane Birkin

C’est la première fois qu’un spectacle vous raconte aussi bien, de vos débuts à aujourd’hui.

Comme un autoportrait? Là aussi, c’est l’influence d’Étienne. Il a voulu que je sois comme il m’a aimée la première fois. Et puis j’interprète des titres que je n’ai pas chantés depuis longtemps en les mélangeant avec les récents. Et puis je suis entouré d’un groupe superbe, de vrais cracks. Je suis contente qu’on ait encore un bout de chemin à faire ensemble.

Réécoutez-vous vos disques?

Non. D’ailleurs je n’ai même pas de pick-up chez moi. J’écoute la radio. J’achète des albums parce que j’aime l’objet.

Êtes-vous une fan de la musique des sixties?

Je ne suis pas plus connaisseur (sic) que ça. Les Beatles, bien sûr, mais je pense que la référence à T-Rex, dans la chanson, c’est Serge. Et puis c’est une histoire de rimes. J’adore toujours chanter «où est l’ombre des Shadows?», c’est tellement joli.

À quel moment avez-vous mesuré le génie de Gainsbourg en termes de paroles?

Je ne m’en rendais pas compte au début de notre vie commune. Jusqu’au jour où il m’a donné son petit livre de chansons cruelles. C’était pour me montrer qu’il était un auteur sérieux. Mais la sidération est venue avec la chanson Quoi? C’était une très jolie mélodie italienne pour laquelle je lui avais demandé un texte. Je l’avais quitté cinq ans avant, il ne me devait rien, et il fallait une sacrée modestie pour écrire sur la musique d’un autre. Quand ses mots sont arrivés, je me suis rendu compte de leur tristesse. C’était difficile à chanter. Après lui avoir fait passer l’enregistrement, je l’ai appelé pour lui demander si ça allait. À l’autre bout du fil, je n’ai entendu qu’un sanglot. J’y repense à chaque fois que je la chante, maintenant.

Quel souvenir conservez-vous de votre collaboration avec Godard?

Sa mort est un grand choc parce qu’on pensait qu’il serait toujours là. Il m’a fait tourner dans le film Soigne ta droite. Il avait un gros rhume le jour où je l’ai rencontré, et j’ai trouvé ça très attirant. Il m’a joué la scène que je devais avoir avec Jacques Villeret, dans une voiture décapotable. Il la faisait beaucoup plus méchamment que lui d’ailleurs. À un moment, il avait pris un torchon pour essuyer mon visage et la vitre. Il a aussi retiré une valise derrière moi pour que ma tête se jette en arrière. C’était un grand acteur, ce que peu de gens savent. Il avait été génial dans cette scène.

LE FIGARO


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