lundi 17 juillet 2023

Jane Birkin, muse de Gainsbourg et symbole des sixties, est décédée


Jane Birkin

Jane Birkin, muse de Gainsbourg et symbole des sixties, est décédée

Par Olivier Nuc

Publié hier à 13:42, mis à jour il y a 4 heures

La plus anglaise des chanteuses françaises est morte à l'âge de 76 ans. Actrice à ses débuts, elle restera à jamais liée au nom de son premier mentor, Serge Gainsbourg et à leur chanson culte  Je t'aime, moi non plus .

 

Jane Birkin est morte à l'âge de 76 ans, retrouvée sans vie dimanche à Paris, après avoir marqué de son empreinte la chanson et le cinéma. «Parce qu'elle incarnait la liberté, qu'elle chantait les plus beaux mots de notre langue, Jane Birkin était une icône française», a écrit le président Emmanuel Macron.Même éloge de la part de la première ministre Elisabeth Borne qui a salué «une icône inoubliable qui a transcendé les générations».

Jane Birkin demeurera longtemps l'Anglaise préférée des Français. À Paris, la jeune fille de bonne famille, figure discrète du Swingin' London, se réinventera en chanteuse et en égérie de Serge Gainsbourg sans jamais perdre ce petit accent reconnaissable entre mille. Elle n'a que 21 ans lorsqu'elle entre dans la vie du musicien, avec son bébé, Kate, née de son mariage avec le compositeur de musique de film John Barry, sous le bras. Ensemble, ils formeront le couple le plus emblématique du Paris des années 1970. Sous une apparence de muse malléable, Jane Birkin influencera profondément Gainsbourg à son tour, lui permettant de mettre au point le personnage très photogénique vêtu de jean, chaussons de danse Repetto, veste et barbe de trois jours.

Fille d'une comédienne célèbre du Londres d'avant-guerre, Judy Campbell, et de David Birkin, figure de la Royal Navy, Jane Mallory Birkin grandit dans le quartier de Chelsea à Londres. Excessivement timide, elle est élevée dans le but de devenir une épouse modèle. Ce qu'elle devient, à 18 ans seulement, en épousant le playboy John Barry, compositeur célébré pour son travail sur les bandes originales de la série James Bond. À ses côtés, elle demeure une épouse effacée, apparaissant dans quelques films en qualité d'actrice. « Dans un article de Newsweek consacré à John, une légende photo disait : “John Barry avec sa Jaguar Type E et sa femme type E.” Cruel, mais vrai. Pas une seconde, je n'imaginais alors avoir un quelconque intérêt », nous avait-elle confié.

La première rencontre avec Gainsbourg

Après quelques apparitions fugaces dans des films oubliés, elle tourne notamment en 1966 dans le chef-d'œuvre d'Antonioni, Blow Up, chronique grinçante du Swingin' London. On lui doit une des premières scènes de nu de l'histoire du cinéma britannique. Elle apparaît aussi dans le psychédélique Wonderwall, dont la bande originale est signée par George Harrison, des Beatles, avec lequel elle monte les marches du Festival de Cannes en 1968. Il ne s'agit pas de sa première visite en France. Encore adolescente, elle avait vécu comme fille au pair dans l'immeuble du 16e arrondissement de Paris où vivait Édith Piaf. C'est en 1968, alors qu'elle passe un casting parisien pour le film Slogan, de Pierre Grimblat, qu'elle croise pour la première fois Serge Gainsbourg. Meurtri par sa rupture avec Bardot, pétri de cynisme, le quadragénaire espérait donner la réplique à Marisa Berenson. Il snobe cette petite Anglaise inconnue et lui rend la vie dure. « Serge m'avait paru quelqu'un d'extrêmement arrogant et sûr de lui, l'idée de sa supériorité était très humiliante : pourtant il était très honnête, je ne l'intéressais pas du tout, simplement… ».

Un slow chez Régine

Afin que le couple soit crédible à l'écran, le réalisateur se voit contraint d'organiser un dîner, auquel il oublie volontairement de se rendre, les laissant en tête à tête. Le résultat dépassera ses espérances : le couple existera, dans son film, mais aussi dans la vie. C'est alors qu'il lui marche sur les pieds pendant un slow dans la boîte de Régine, quelques jours plus tard, que Jane succombe au charme du quadragénaire. « Je suis tombée amoureuse de lui pour sa timidité, sa maladresse… »

Jane Birkin laisse Londres derrière elle pour se poser dans la capitale française, qu'elle ne quittera plus. « Si j'ai quitté mon pays, c'était pour oser des choses ailleurs. En Angleterre, au mieux, j'aurais été une James Bond girl. Et encore, je n'avais pas les mensurations adéquates ! ». Serge Gainsbourg a une idée de génie : s'il a promis à Brigitte Bardot de ne pas diffuser le duo torride Je t'aime moi non plus, qu'ils ont enregistré ensemble, il ne lui est pas interdit de la reprendre avec une autre… « Il m'a fait écouter l'enregistrement dans l'appartement de ses parents après notre rencontre. Lorsqu'il m'a demandé si je voulais bien la chanter, j'ai accepté uniquement par jalousie : je ne voulais pas qu'il la fasse avec une autre fille », nous disait Jane Birkin en 2016. Bien vite, il s'aperçoit que le timbre fragile de Jane Birkin rend la chanson encore plus suggestive que la voix grave de BB. Dès la sortie du disque, le scandale est énorme ! « Le pape a été notre meilleur attaché de presse », se souvenait Jane.

L'Osservatore Romano, publication officielle du Vatican, avait en effet appelé au boycott de cette chanson considérée comme obscène, et obtenu que sa diffusion soit interdite en Italie. Le couple devient numéro un des « charts » britanniques et la chanson un tube mondial. « Ma mère a trouvé que c'était une jolie mélodie, et mon père m'a défendue lorsque le scandale a pris des proportions énormes. Je sais déjà quelle chanson sera jouée à mon enterrement ! »

Se réinventer

Au sein du couple emblématique des années 1970, Jane Birkin tiendra son rang. En chanson, elle est au service de son compagnon, qui lui demande de chanter haut, à la limite de la brisure. Au cinéma, à l'écart de son démiurge, elle s'impose comme l'égérie de comédies populaires réalisées par Claude Zidi (La moutarde me monte au nezLa Course à l'échalote, avec Pierre Richard), Roger Vadim (Don Juan 73, avec Brigitte Bardot), Michel Audiard(Comment réussir quand on est con et pleurnichard) ou Patrice Leconte (Circulez, y a rien à voir !). Elle y trouve des rôles qui la cantonnent dans un personnage réducteur de ravissante idiote.

Parallèlement, elle pose nue dans les magazines qu'on dit pudiquement « pour hommes ». Sur le tournage de La Piscine, dans lequel elle joue le rôle de la fille du personnage incarné par Maurice Ronet, Serge Gainsbourg ne la lâche pas d'une semelle, convaincu qu'elle peut succomber à la beauté ravageuse d'Alain Delon.

Galvanisée par sa créativité, elle est de tous les projets entrepris par Gainsbourg, avec une omniprésence médiatique. Elle l'accompagne aussi dans ses virées nocturnes, aménageant sa vie autour de ce monstre assoiffé de reconnaissance. C'est une fois «son» Serge consacré par le succès public de l'album Aux armes et cætera, en 1979, que Jane se lassera. L'exubérante devient discrète, la muse quitte son Pygmalion mais continue de l'inspirer, à distance. Nouvel amour, le réalisateur Jacques Doillon la fait sortir de ses rôles d'inconséquente pour lui conférer une gravité nouvelle. Non contente d'être sous l'œil de la caméra, Jane Birkin apprend avec lui à passer derrière. « Être son assistante sur deux films a été une très bonne école. C'est là que j'ai appris qu'on pouvait tourner avec six personnes, que le cinéma, ça pouvait être très artisanal et plein de textes. »


C'est audacieux de prétendre valoir quelque chose J'ai été très gâtée avec vingt ans de chansons de Serge, entre Je t'aime moi non plus, et mon album Amours des feintes, qu'il a terminé d'écrire trois mois avant de disparaître. À sa mort, je ne savais pas si j'étais indispensable à la chanson française. 


À 40 ans, Jane Birkin impose l'allure androgyne qui est devenue sa marque, et entame une relation passionnelle avec la scène. Mais c'est véritablement après la mort de Gainsbourg, en 1991, qu'elle prend son envol, en écrivant la pièce de théâtre Oh ! Pardon tu dormais… Si elle noircit un journal intime depuis sa plus tendre jeunesse - il sera publié en deux volumes entre 2018 et 2019 -, c'est la première fois qu'elle dévoile son écriture. En 1992, la pièce est adaptée en film. « Si j'ai osé faire ce film, c'était grâce à Jacques Doillon. Il m'a dit : “Sois courageuse, va au bout.” »

Son courage, Jane Birkin aura maintes occasions d'en faire la démonstration. Entière, elle s'engage auprès d'Amnesty International en qualité de porte-parole. Elle milite activement pour la libération d'Aung San Suu Kyi lui consacrant une chanson en 2008. Elle n'hésite pas à défiler. Elle embrasse aussi les causes du sida, de l'Algérie, du Tibet, s'engage auprès des «Enfants de la Terre» avec Yannick Noah. Une vraie passionaria, généreuse et disponible. Elle participe aussi à trois spectacles des Enfoirés pour les Restos du cœur, dans la deuxième moitié des années 1990. Au moment où l'on pensait tout savoir d'elle, elle surprend son monde en publiant en 2008 un album de chansons dont elle a écrit seule tous les textes. Un tournant important dans une carrière de chanteuse presque tout entière placée sous le signe de son ancien mentor. « C'est audacieux de prétendre valoir quelque chose », disait-elle modestement. « J'ai été très gâtée avec vingt ans de chansons de Serge, entre Je t'aime moi non plus, et mon album Amours des feintes, qu'il a terminé d'écrire trois mois avant de disparaître. À sa mort, je ne savais pas si j'étais indispensable à la chanson française. »

Après la disparition de son mentor, en 1991, elle avait d'abord consacré un album de reprises de morceaux que Gainsbourg avait écrits pour d'autres (Versions Jane, en 1996), avant de donner le spectacle Arabesque, lecture arabo-andalouse du répertoire de son maître chanteur. Quelques années plus tard, c'est dans des lectures symphoniques qu'elle défendra le répertoire gainsbourgeois aux quatre coins du monde. Déployant une énergie colossale, elle affirmait une personnalité nouvelle, plus grave, après la mort de sa fille aînée Kate Barry, défenestrée à l'âge de 46 ans en 2013.

Photographe reconnue, la jeune femme signera plusieurs portraits saisissants de sa mère. « Être vue par elle, cela a donné des choses merveilleuses. Elle était tellement exacte dans les lieux qu'elle avait choisis. C'était une visionnaire », nous confiait-elle en 2014. L'artiste impose une photo où on ne voit pas le visage de sa mère sur la pochette de l'album Rendez-vous, en 2004. Un disque de duos qui la voit partager le micro avec des stars internationales comme Caetano Veloso, Bryan Ferry ou Paolo Conte, et les Français Alain Chamfort, Miossec, Souchon et Daho. Quelques années auparavant, la jeune quinquagénaire avait repris le chemin des studios en interprétant des titres inédits, les premiers dus à d'autres auteurs-compositeurs que Serge Gainsbourg, de Manset à Zazie, en passant par Mc Solaar. Pourtant, en tant qu'interprète, Jane Birkin peine à se détacher de la présence écrasante de Serge Gainsbourg, dont l'ombre plane de plus en plus intensément sur la musique française. Après avoir tant œuvré pour la reconnaissance internationale de Serge, Jane assistera, heureuse, à la naissance d'un culte parmi les musiciens les plus en vogue de la scène anglo-saxonne, de Sonic Youth à Beck, avec qui elle chante L'Anamour en duo en 2000.

Enfants d'hiver ne connaîtra pas un grand succès mais permettra à Jane Birkin de s'envisager un avenir comme auteur. Elle signe le scénario et la réalisation de Boxes, un film autobiographique où elle retrouve son ami Michel Piccoli. Avec lui, et Hervé Pierre, de la Comédie-Française, elle présentera une lecture des textes de Serge au Théâtre de l'Odéon, sous le titre Gainsbourg, poète majeur, en 2014.

Tombé sous le charme de l'écriture de la dame, Étienne Daho, un ami de la famille, l'encourage à signer de nouvelles chansons. « Étienne a été un moteur, avec ses musiques et celles de Jean-Louis Piérot. Ça a été une telle aventure », expliquait-elle en 2020, fière du disque qui marquait sa seconde incursion dans l'écriture de chansons, Oh Pardon, tu dormais ! Jane Birkin n'y faisait pas abstraction du drame qui l'avait frappée, la mort de sa fille aînée, Kate, notamment sur le très cru Cigarettes (« une chanson écrite dans la détresse de son absence ») ou Ces murs épais, qui évoque ses visites sur la tombe de Kate. « Le cimetière, c'est une frayeur de la réalité des choses, on dépose les fleurs vite et on se casse. »

À mille lieues de la muse éternelle de Gainsbourg, Jane Birkin s'affirmait en femme forte et digne avec un vécu et une autorité. « Ayant porté l'œuvre de Serge, je pouvais enfin avoir l'audace d'être moi-même. » Des ennuis de santé l’éloigneront de la scène et ses apparitions publiques se feront plus rares. La dernière remonte àla cérémonie des César en février 2023 pour le documentaire, Jane par Charlotte, réalisé par sa fille.

Quoiqu'elle aura fait, Jane Birkin aura toujours été assimilée à Serge Gainsbourg. Loin de s'en offusquer, elle en avait pris son parti depuis longtemps. « Je ne peux pas bouder mon époque avec Serge. Si j'ai été acceptée à l'étranger, c'est grâce au succès de sa chanson Je t'aime moi non plus. Elle m'a permis d'aller chanter à Hongkong et à Jakarta, au Vietnam, à Buenos Aires, en Russie… C'est très étrange d'avoir participé à un disque aussi historique ! Sans lui, je n'aurais rien fait du tout. »

LE FIGARO



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