Isabelle Rimbaud, une soeur à la gloire de son frère
David Westphal
15 juillet 2016, 10h34 | MAJ : 06 septembre 2016, 18h03
Le Parisien Magazine
Qui veilla sur le poète durant sa longue agonie ? Et, surtout, qui consacra sa vie à bâtir, plus ou moins fidèlement, sa légende ? Sa jeune sœur ! Par amour fraternel, elle se mit même à l’écriture.
En ce mois de mai 1891, Isabelle Rimbaud a 30 ans lorsque son frère Arthur, gravement malade, l’appelle d’urgence à son chevet. De six ans sa cadette, elle ne l’a pas vu depuis onze ans, ne connaît rien de ses aventures commerciales en Afrique, n’a jamais lu une ligne écrite de sa main… S’ils n’ont partagé, enfants, que de rares instants de vie familiale, elle sait qu’il est aussi indomptable que brillant. Elle est désormais adulte et sans doute curieuse, malgré les circonstances, de découvrir ce frère dont les « semelles de vent », comme disait le poète Verlaine, l’ont éloigné d’elle. Ce qu’elle ignore, c’est que lui venir en aide changera sa propre vie, et qu’elle s’attachera désormais à écrire, quitte à la travestir, la légende d’Arthur Rimbaud.
Quatre mois à son chevet
Isabelle est une sœur aimante, imprégnée d’une éducation chrétienne et rigoriste. Aussi se rend-elle aussitôt auprès de son frère malade. Atteint d’une tumeur maligne au genou, il a dû quitter l’Ethiopie et la ville de Harar, où il faisait du négoce, pour se faire soigner en France. Il entre à l’hôpital de la Conception, à Marseille, où il est amputé. Excepté un bref séjour sur sa terre natale de Charleville (Ardennes), il y vivra les quatre derniers mois de sa courte vie. Quatre mois d’agonie, durant lesquels sa sœur ne le quittera plus et sera, tour à tour, sa secrétaire, sa confidente, son infirmière et son alter ego. C’est ainsi qu’Isabelle Rimbaud n’a vraiment connu son frère qu’au seuil de la mort, recueillant seule ses pensées, ses souvenirs, ses espoirs, travaillant nuit et jour à l’assister pour le nourrir, le laver et soulager ses souffrances.
Un surprenant portrait
Arthur Rimbaud meurt le 10 novembre 1891 à l’âge de 37 ans. Après avoir exécuté ses dernières volontés, Isabelle va tenter de lui rendre la gloire et les égards qu’à son sens il mérite, dessiner pour lui un costume sans tache ni accroc. Témoin privilégié des derniers jours, elle s’emploie à défendre sa mémoire, à le faire connaître de tous, à publier ses écrits, à raconter en partie sa vie et son histoire. Dans ses quatre livres sur son frère, elle mêle les faits et les interprétations que lui dicte sa propre foi. En 1914, dans Rimbaud mystique, elle écrit : « J’ai la conviction absolue qu’il entrait dans les desseins d’En-Haut que cet élu se vêtît sur la terre des oripeaux de l’incroyance, afin de mieux prouver aux hommes l’inanité de leurs révoltes contre la puissance éternelle. » En regard des frasques et des outrances d’Arthur Rimbaud, ce costume de bon chrétien semble mal ajusté, et en étonne plus d’un !
Ce rapprochement a changé sa vie
Dans les efforts consentis pour bâtir la postérité de son frère, Isabelle va même trouver un mari. Par la simple grâce de ses lettres et la vertu de son combat, elle séduit un homme prêt à l’accompagner dans sa mission. Il s’agit de Pierre-Eugène Dufour, artiste et homme de lettres qui écrit sous un pseudonyme qui fleure bon le XIXe siècle et le théâtre de Georges Feydeau : Paterne Berrichon. Ce dernier demande la main d’Isabelle sans même l’avoir jamais vue, et l’épouse en 1897. Ensemble, ils poursuivront la légende d’Arthur. Aujourd’hui encore, les débats font rage sur l’héritage littéraire laissé par Isabelle Rimbaud. Elle a ses détracteurs et ses défenseurs. La vérité, s’il en est une, tient peut-être dans cette phrase tirée de son ouvrage Mon frère Arthur : « Je l’ai aidé à mourir et lui, avant de me quitter, a voulu m’enseigner le vrai bonheur de la vie. Il m’a, en mourant, aidée à vivre (…). En quatre mois, il m’a plus appris que d’autres en trente années. »
Les mots révélés
1er juin 1860 : Isabelle Rimbaud naît à Charleville (Ardennes), six ans après Arthur.
Mai 1891 : Rimbaud, malade, est rapatrié à Marseille. Isabelle, qui ne l’a pas vu depuis onze ans, l’y rejoint.
10 novembre 1891 : Rimbaud s’éteint. Sa sœur est à ses côtés.
20 juin 1917 : Isabelle décède à Neuilly, près de Paris, d’un cancer.
1921 : Reliques, recueil de textes sur son frère, est publié.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire