Alissa Walser
Au commencement la nuit était musique
Ecrit par Léon-Marc Levy
11.09.11
Vienne au temps de Mozart est déjà la brillante capitale des arts, des sciences et de la littérature qu’elle sera jusqu’à la catastrophe de la première guerre mondiale. La silhouette et les airs du divin Wolfgang (et du grand Haydn) y flottent partout dans la ville et dans les têtes.
1777. Les figures étonnantes sont déjà nombreuses dans la capitale de l’empire et parmi elles, celles des deux héros de ce livre : le Dr Mesmer, médecin atypique et controversé qui croit aux vertus essentielles des ondes magnétiques sur le corps humain. Et notre héroïne, qui n’est rien moins que la célèbre pianiste et compositrice Maria Theresia Von Paradis.
Elle est aveugle. Plus exactement devenue curieusement aveugle. Les parents, grands bourgeois viennois proches de la cour, ont tout essayé. Ils appellent alors à l’aide le sulfureux Mesmer et ses aimants. Et dans une relation fébrile, haletante, ambiguë, les deux personnages vont se nouer, se dénouer, s’aimer (platoniquement ; Mesmer est marié et irréprochable !), se haïr. On ne peut s’empêcher de se projeter plus d’un siècle plus tard avec un certain Freud et une certaine Anna O. (et quelques autres) !
Alissa Walser raconte Maria Theresia au rythme de l’hystérie. Les phrases sont d’une brièveté éclair qui donnent au récit – par longues périodes – une prosopopée douloureuse et suffocante ; presque gênante parfois.
« Elle est laide. Elle est belle. Dans sa souffrance. Elle porte des vêtements qui ne l’avantagent pas. Elle joue mieux au piano qu’elle ne chante. Elle a un glaucome parfait. Elle feint la cécité … Il va la guérir. »
Il la guérit (rassurez-vous, on est loin de la fin du livre !). Et la vue retrouvée va lui faire perdre son talent d’instrumentiste ! Des yeux, plus de doigts ! Commence alors le plus fou des destins, dans des nœuds de vie où une figure de femme se débat, annonçant, malgré la chape de plomb d’une classe sociale et du machisme dominant, les aspirations à être femme qui sonnent déjà les combats du XIXème siècle et leurs aspirations à la liberté.
Et Vienne. Toujours décrite comme brillante et belle, devient ici une ville hideuse et morbide.
« Vienne, la plus grande ville où il ait vécu. Un gros tas de cailloux. Un tas puant. Cela pue où qu’on aille, surtout durant les étés torrides. Insupportable. Et les gens (…). La ville grouille d’amateurs de musique ! La ville grouille de musiciens. Tous veulent aller à Vienne. »
Etrange roman écrit dans un étrange rythme autour d’étranges personnages. Décalé, loin de tout cliché. Agaçant parfois mais un livre, un vrai. C’est-à-dire définitivement pas comme les autres. C’est-à-dire définitivement attachant.
Au commencement la nuit était musique.
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