Un livre qui paraît en France est l’occasion de revenir sur l’une des plus belles aventures du rock. Au moment où sort également un coffret de 19 DVD retraçant les premières années du groupe.
Paris Match. Vous avez écrit cette biographie il y a dix ans. Vous souveniez-vous de tout ?
Nick Mason. Le problème n’est pas de se souvenir mais de savoir si les événements se sont déroulés de la manière dont je les raconte. Parfois, nous n’avons pas tous la même version de l’histoire. Alors voici la mienne. Il existe pas mal de livres sur Pink Floyd, je trouvais intéressant de donner un vécu de l’intérieur. Il y avait aussi une forme de célébration dans ma démarche. Pink Floyd est souvent vu comme un groupe sombre, qui a passé sa vie à se disputer. Mais ce n’était pas totalement vrai…
Vous dépeignez le groupe comme une famille : on se fait la gueule, on se parle mal, mais à la fin on est tous contents d’être ensemble.
Vous avez raison. Il existe une famille Pink Floyd, dans laquelle j’inclurais nos enfants mais aussi tous les gens qui ont travaillé avec nous. Beaucoup d’autres groupes de cette époque n’ont pas réussi cela, certains ne se parlent même plus. Nous étions une famille dysfonctionnelle, mais une famille quand même.
Quand nous avons signé un contrat avec Emi en 1967, je pensais que ça durerait un an, guère plus. Roger n’était pas d’accord, il avait une vision bien plus vaste.
Vous avez des mots durs sur Roger Waters, qui se comporte de manière assez rude...
Mais cela n’enlève rien à l’admiration que j’ai pour lui et pour son travail. Nous sommes toujours amis, et cette amitié est plus importante que tout. C’est sur le plan du travail que nous ne sommes pas toujours parvenus à nous entendre. Nous aurions dû trouver une meilleure manière de collaborer. Mais nous sommes arrivés à comprendre comment mettre en musique ce que nous voulions. Nous avions un but commun, nous y sommes parvenus, malgré nos différences. Et ce sont ces différences qui nous ont permis de réussir.
Comment définiriez-vous la musique de Pink Floyd ?
Nous avons légèrement intellectualisé le rock, nous n’aimions pas l’idée d’une musique “mainstream”. Nous n’avions pas le culte de la personnalité. Nous n’étions pas des rock stars, immédiatement reconnaissables.
Etes-vous d’accord lorsque l’on dit que c’était un groupe sans leader ?
Chez les autres, il y avait Mick et Keith, John et Paul, Robert et Jimmy. Chez nous, tout le monde contribuait à tout, même si Roger et moi étions plus impliqués dans le business et l’aspect visuel de notre musique. Le véritable leader aurait dû être Syd Barrett, car c’est lui qui écrivait au début la plupart des chansons. En général celui qui écrit les chansons prend le pas sur les autres. Mais nous, en théorie, nous fonctionnions en démocratie.
Si Roger et David s’étaient moins opposés, nous n’aurions pas fait un aussi bon boulot. Seul un événement comme le « Live 8 » de 2005 pourrait nous réunir.
Comment avez-vous réagi au départ de Syd Barrett, en 1968 ?
Nous étions sûrs de pouvoir continuer sans lui, nous avions confiance en ce que nous faisions. Nous savions aussi qu’il ne reviendrait jamais. Je me souviens encore que, lorsqu’il est parti, ce fut un soulagement pour nous tous. Au moins, nous pouvions avancer, donner des concerts. Rétrospectivement, c’est un peu dur, nous aurions pu agir autrement. Mais nous ne savions pas quoi faire…
Vous êtes le seul à défendre l’héritage aujourd’hui…
Et cela fait de moi le leader ! [Il rit.] Mais je ne le pense pas une seconde. Si David [Gilmour] et Roger voulaient donner des interviews pour parler du groupe, ça me conviendrait totalement. Moi, j’aime me plonger dans nos archives, eux moins… J’aime aussi l’idée de tout mettre en ordre, de protéger notre héritage.
Vous publiez un coffret de 19 DVD retraçant les sept premières années du groupe. Avez-vous découvert des trésors ?
Des photos, des images de la télé belge, des choses que j’avais totalement oubliées. Parfois, je me sentais un peu embarrassé de me revoir cinquante ans plus tôt. Mais, au final, c’est plutôt rigolo, nous n’imaginions pas une seule seconde que cela durerait. Moi, en tout cas, je n’avais pas de vision à long terme. Quand nous avons signé un contrat avec Emi en 1967, je pensais que ça durerait un an, guère plus… Roger n’était pas de mon avis. Il possédait une vision bien plus vaste.
Quand avez-vous compris que vous étiez arrivés à créer une musique qui vous dépassait ?
Après “The Dark Side of the Moon”. L’album a passé plus d’un an en tête du hit-parade américain. Là, j’ai compris que quelque chose s’était passé. Et encore… comme nous étions sans cesse occupés, nous n’avons pas vraiment eu le temps de réfléchir. Nous pensions au projet suivant. Au-delà du disque, ce fut également une période où nos vies changèrent. Nous commencions à nous marier, à avoir des enfants. Jusque-là nous étions ensemble 24 heures sur 24.
Y a-t-il des époques de votre carrière que vous aimez plus que d’autres ?
Non. Il y a tellement de choses différentes. Je me suis autant amusé au fond d’un bus dans le nord de l’Angleterre que dans un jet privé au-dessus de l’Amérique. Et ce qui me reste le plus, ce sont les concerts. Que vous soyez devant 500 personnes ou 50 000, vous êtes engagé dans votre musique de la même manière.
Les premières années d’un groupe sont généralement les plus créatives…
Pas forcément. Avec le temps, nous avons essayé d’être le plus parfaits possible. Il y a toujours l’opportunité d’évoluer, je n’ai jamais joué une chanson de la même manière.
Cela vous manque-t-il de ne plus jouer ?
Pas vraiment… Enfin, je ne suis pas désespéré à l’idée de ne plus pouvoir retrouver mon siège derrière la batterie. Il m’arrive parfois de participer à des sessions d’enregistrement pour d’autres musiciens, juste pour le plaisir.
Le mois dernier, Roger Waters se produisait à Mexico pendant que David Gilmour jouait à Londres quasiment le même répertoire. Qu’est-ce que cela vous fait ?
C’est ainsi. Si Roger et David s’étaient moins opposés, nous n’aurions pas réussi à faire un aussi bon boulot. La seule chose qui réunirait le groupe serait un événement comme le “Live 8”, puisque nous avions pu le faire en 2005. Mais l’enjeu était de taille, il s’agissait de changer le monde…
Sauf que vous n’avez pas vraiment changé le monde ?
Peut-être, mais c’était utile de le faire, cela a permis d’alerter les consciences.
Aujourd’hui, des gamins de 15 ans portent vos tee-shirts, vos images ont imprimé la conscience collective. Pink Floyd est-il plus nécessaire que jamais ?
Pink Floyd fait partie du passé. David a été assez clair il me semble lors de la promotion de notre dernier album, “The Endless River”, en 2014. Mais notre musique résonne encore dans l’époque contemporaine, tout comme celle des Rolling Stones ou des Beatles. La chose la plus constante dans Pink Floyd est notre engagement politique. Un combat comme le Brexit aurait été trop faible pour nous. Roger est bien plus impliqué dans le conflit entre Israël et la Palestine…
Vous, vous avez toujours eu une passion pour les voitures de course, que vous collectionnez. Etait-ce une manière d’échapper à la folie du groupe ?
Ce n’était pas une échappatoire mais un complément. Conduire une voiture de course relève de la précision. Pour effectuer le tour parfait, il faut trouver l’ajustement infime.
Un peu comme la batterie, non ?
En termes de précision, oui. Mais dans une voiture vous êtes seul aux commandes, vous êtes entièrement responsable. Alors que dans un groupe, surtout quand vous êtes derrière la batterie, vous êtes soumis au bon vouloir de vos collègues musiciens.
Quand vous regardez en arrière, vous sentez-vous comme l’un des hommes les plus comblés au monde ?
L’un des plus chanceux. Mais c’est derrière une batterie que je suis le plus comblé. Car je sais que je peux me battre au plus haut niveau. Conduire vite est un plaisir qui n’est plus de mon âge. Batteur de Pink Floyd, c’est mon métier.
« Pink Floyd », de Nick Mason, éd. du Chêne, 312 pages, 17 euros.
« The Early Years 1965-1972 », coffret de 19 DVD (Parlophone/Warner).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire