L'amitié entre Truman Capote et Babe Paley : un cruel délice
Paris Match|Dans un roman bouleversant, Melanie Benjamin raconte l’amitié vénéneuse entre Truman Capote et Babe Paley.
Elles étaient sept ou huit : Slim Hayward, Pamela Churchill, Gloria Guinness, Marella Agnelli, Gloria Vanderbilt… Belles comme l’or, pâles comme l’ivoire, minces comme une chaîne d’argent, souples comme la soie, raffinées comme le sucre glace, plus blanches encore que les rangs de perles autour de leur cou… On les appelait « les cygnes » de Manhattan. Equipées en Hermès, cuirassées en Tiffany, parfumées en Dior, leurs uniformes étaient signés Givenchy, Balenciaga ou Chanel. A l’heure de grignoter une feuille de salade et trois grains de béluga, elles se retrouvaient au Pavillon, à La Côte basque, au Colony ou au Waldorf. Elles n’avaient qu’un devoir et une mission : ne pas prendre un gramme et donner un ou deux héritiers.
Mais le clou du spectacle, la plus fascinante, la plus belle, la plus inaccessible, c’était Barbara Cushing Mortimer, devenue Babe Paley, la femme de Bill Paley, le fondateur de CBS. Imperturbablement calme, les nerfs tranchés, la voix posée, elle ne se pressait jamais, mettait des gants en plein été pour passer au Plaza. Sa beauté était spectaculaire, aussi glacée que son caractère était réservé. Jamais elle ne prononçait un mot méchant contre qui que ce soit. Snob comme lui seul, Truman Capote a fondu comme la glace face à cette poupée parfaite, si riche et si glamour. Pour les autres cygnes, tout écrivain génial qu’il fût, c’était un bouffon, un caprice, une bonne blague, au mieux une copine comme une autre. Avec sa voix traînante, il était trop chichiteux, trop vaniteux, trop cancanier. Mais pour Babe, il est un confident, une âme sœur. Ils ont joué à l’avance une partition ressemblant à celle de François-Marie Banier et Liliane Bettencourt.
Les vacheries de Truman Capote
Et là, horreur, Truman a découvert que Babe était une femme délaissée, une femme peureuse tremblant devant son mari. Pendant des années, il l’a consolée en échange de séjours de rêve dans les paradis des Paley. Avec lui, malheureusement, l’amitié avait une fragilité de biscotte. L’ironie, la calomnie et la perfidie étaient la sainte Trinité de son Evangile. C’était vif, léger et rapide, mais saignant car, sous une apparence de grosse poule faisandée, Truman avait les dents d’une hyène. Ses vacheries pouvaient bien faire mourir de rire, les larmes étaient du vitriol. Résultat : quand sa carrière est entrée sous assistance respiratoire, son stylo s’est fait bistouri, chaque ligne s’est transformée en coup de rasoir et Capote a pris pour modèles ces fameux cygnes. Les anges inaccessibles sont apparus venimeux, égoïstes, nymphomanes, futiles et mesquins. Où ça ? Dans « Esquire », le journal le plus branché de l’époque, où Truman a donné en exclusivité un chapitre atroce de méchanceté de son prochain livre.
Inutile de dire que Slim, Gloria, Pamela ont rugi. Pas Babe, incapable de faire le deuil d’une amitié si précieuse. Sa vie s’est effondrée. Dans son roman, Melanie Benjamin raconte alors la fin de cet ange déchu. C’est bouleversant. Aussi déchirant que le début de l’aventure en compagnie de cette peste de Truman était drôle.
« Les cygnes de la Cinquième Avenue », de Melanie Benjamin, éd. Albin Michel, 432 pages, 22 euros.
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