mardi 6 juin 2017

Fanny Ardant / "Je n'ai aucune assurance avec les hommes"




Fanny Ardant : "Je n'ai aucune assurance avec les hommes"

Par Laetitia Cénac | Le 09 septembre 2016

L’irréductible du cinéma français dynamite les codes comme aucune autre. Cette fois, elle s’essaye au théâtre de boulevard avec la comédie culte Croque-Monsieur. L’occasion rêvée pour évoquer avec elle la passion amoureuse.

Fin des répétitions, 18 heures. Fanny Ardant attend sagement, attablée au foyer du Théâtre de la Michodière. Œil charbonneux, décolleté à volants, bagues à tous les doigts, elle a troqué son élégance parisienne pour un look gypsy. Va-t-elle tirer les cartes ou lire dans le marc de café ? En fait, elle est Coco Baisos, l’aventurière qui collectionne les maris dans Croque-Monsieur (1), pièce de Marcel Mithois, créée par Jacqueline Maillan en 1964, et mise en scène par Thierry Klifa.
« Cette femme est contradictoire. Elle se sert des hommes, elle ne s’avoue jamais vaincue, elle n’a pas peur du ridicule, elle paye comptant. Mais au fond, c’est un hymne à la vie. Elle ne sera jamais victime, misérable, pleurnicharde, accablée. Elle trace. » L’occasion est trop belle. Et si nous parlions d’amour avec Fanny Ardant ? Elle acquiesce. Les mots en i lui vont bien. Elle est tour à tour irrespectueuse, iconoclaste, incandescente, irrésistible. Et toujours insolite. Si on la questionne sur une ville à la taille de l’amour, elle choisit sans hésiter : « Ouessant. Une île. C’est sans retour. Les marins ont pour dicton : "Qui voit Ouessant voit son sang." Je ne dirai jamais Venise ! » Le ton est donné.

La passion selon Ardant

« Si vous me demandez : "Est-ce que la passion est raisonnable pour construire une vie ?" Non ! Par définition, la passion est quelque chose qui vous fait perdre vos moyens, vous prive d’oxygène, vous enlève le peu d’intelligence dont vous disposez. Les coups de foudre, ça consume. Je pense que pour avoir une vie équilibrée, il faut retourner au temps des grands-mères. Les mariages arrangés avaient une grande intelligence. L’amour grandissait petit à petit. Les Indiens disaient que nous, les Occidentaux, nous attendions d’être au climax de l’amour pour se marier et que, dès lors, le sentiment dépérissait. Alors qu’eux faisaient le contraire. Ils mettaient des petites brindilles dans le feu et, à la fin de la vie, ils s’aimaient comme des fous. »


L’art et l’amour



« Quand on est très amoureux, on ne pense à rien d’autre. On a l’impression que le monde est parfait, qu’à deux on peut être seuls contre tous. Il me semble que des gens comme Mozart, comme Proust, comme Van Gogh, s’ils avaient été très amoureux ou très aimés, n’auraient rien créé. L’art, ce n’est pas entre 9 heures du matin et 5 heures du soir. On fait ça parce que c’est plus fort que soi. L’art prend la place que l’amour laisse libre. Emplit cette vie plus tiède que celle dont on avait rêvé. L’artiste a d’autant plus de lucidité qu’il sait.
On m’objectera le cas de Bach, marié, huit enfants. Mais que sait-on de lui ? De cette vie de famille dont on pourrait dire : "Tout va très bien Madame la Marquise." Mais que sait-on du cœur d’un homme ou du cœur d’une femme ? L’amoureux, lui, il peut être au ban de la société, il peut être honni, il est le roi du monde. Parce qu’il aime et qu’il est aimé. »

Vivre d’avoir aimé

« Quand on se retrouve dans le noir, on peut voir sa vie comme un couloir jalonné de flambeaux. Ou bien une mer agitée avec au loin des phares. Et on se souvient de ces moments où on aimait tellement. On pourrait le formuler ainsi : "Qu’est-ce qui me prouve que je ne suis pas morte ? Que je ne suis pas dans l’antichambre de la mort ?" Il suffit de se remémorer qu’on a aimé. Tout revient : les douleurs et les grandes espérances.
D’ailleurs, quand des enfants ou des adolescents vous parlent de leur peine de cœur, tout resurgit. On a un disque dur à l’intérieur de nous. Il y a une mémoire du corps, du chagrin, de l’exaltation. Je crois beaucoup à l’amour. Je ne me moque jamais. N’importe qui peut me parler pendant des heures, vous m’entendez : "Il m’a dit ci, et je lui ai dit ça, et il m’a dit…" Ça me passionne : "Et à ce moment-là, qu’est-ce que t’as répondu ?" »

Duras, forcément



« J’ai la même vision de l’amour que Marguerite Duras. L’amour brûle, fait une combustion. On ne s’en remet pas. Évidemment, cela va à l’encontre de notre société construite sur honneur, patrie, famille, papa, maman, enfants, la petite maison dans la prairie. C’est ingérable, les gens fous d’amour. Ça se fiche de payer ses impôts et d’avoir la police de France à ses trousses. Prenez le personnage de Lol V. Stein. Marguerite Duras saisit l’amour au moment où on devient fou, capable d’enfermement absolu, de dénuement le plus extrême…
La folie, l’ivresse, l’autodestruction ne sont pas des choses comestibles pour une société qui fonctionne. Quand je parle de l’amour comme ça, j’en parle en mon nom et je prends mes responsabilités. Que dit le bon sens commun d’un chagrin d’amour ? "Allez, un de perdu, dix de retrouvés." Il dit : "On ne se tue pas par amour." Or, nous portons une bombe à retardement qui nous fera peut-être dire un jour : "Oui, j’abandonnerai mes enfants. Oui, je suivrai cet homme…" Il y a cette possibilité de dire non à ce qui nous a été enseigné : se brosser les dents, aller à l’école, être à l’heure au bureau… "Aucune histoire conjugale ne résiste à un inconnu qui entre dans un bar", écrit Duras dans la Musica. »

Avec le temps

« Quand on est grand rescapé d’une histoire qui vous a brûlé, il y a quelque chose en nous qui est mort. On peut faire semblant. Ce n’est pas du tout négatif ce que je dis là. C’est comme une locomotive qui a été dézinguée, mais dont la vitesse est acquise. Elle continue à glisser, elle traverse des paysages, des forêts, des glaciers, elle voyage. N’empêche ! Son moteur est cassé.
J’aime la vie, mais il y a des choses sur lesquelles je ne tournerai jamais la page. Toutes celles qui m’ont fait souffrir, je ne les oublierai jamais. Dans la Femme d’à côté (de François Truffaut), je disais : "On me demande de tourner la page mais la page pèse 100 kilos." On vous dit : 'Faut aller de l’avant." Non ! Ou : "Faut pas regarder le passé." Non ! J’aime la vie, mais je suis une incurable pessimiste. On peut aimer la vie et parler de la mort. La mort n’est pas une ennemie, curieusement. C’est un régulateur et même une pacificatrice. La mort vient vous dire : "Tu te mets la tête à l’envers pour ça, t’es folle. Vis ! La vie est plus importante." »

La Callas



« Moi, si j’avais été Callas, je serais tombée amoureuse d’Onassis. Parce que j’aime beaucoup, beaucoup les self-made-men, les gens qui se sont sortis de la mouise. Maria Callas était entourée de gens qui la traitaient de "Divine" et qui n’osaient pas poser la main sur elle. Et, tout d’un coup, ce charretier est arrivé, ce voyou, carnassier, grec comme elle. Les gens disent : "C’est parce qu’il était riche." Mais elle était riche, elle aussi. En fait, il était self-made-man comme elle, ils s’en étaient sortis tous les deux. Quand ils se retrouvaient dans leur chambre, ils devaient manger du pan-bagnat. Fini, les diams, les visons.
Zeffirelli, metteur en scène de Callas Forever, que j’ai tourné, le détestait. On se disputait. Je lui rétorquais : "Tu ne comprends rien aux femmes ! C’est très attirant un homme qui ne dit pas : "Je t’ai écoutée chanter… J’avais des frissons", mais plutôt : "Bon, t’as fini ton truc ?" »

Présence des hommes

« J’aime beaucoup les hommes, la compagnie des hommes, je ne sais pas pourquoi. Souvent, je dis : "Il vaut mieux dîner avec un hommestupide qu’une femme intelligente." J’ai bien dit dîner… L’importance des hommes, les mains des hommes, les voix des hommes. Pour autant, je ne regarde rien chez un homme. Quelque chose s’insinue en moi comme un filtre, ce n’est pas du domaine du conscient, du raisonné, du raisonnable. Quelque chose s’est passé, mais c’est indéfini.
Je me souviens quand François Ozon m’a proposé un rôle dans 8 Femmes, je m’étais dit : "Ah ! Quelle barbe… Il n’y aura pas d’hommes." J’ai toujours peur qu’on exclue les hommes. Je serais très triste dans une société qui ne comprendrait que des femmes. J’ai plus de points communs avec les hommes au bout du compte. Mais je suis quelqu’un de très timide, qui n’a aucune assurance avec les hommes. Très, très timide. Si jamais on ne m’invite pas à danser, je ne danse pas. C’est une métaphore. Je préfère faire tapisserie plutôt que de dire : "Vous m’invitez à danser ?" »
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