lundi 12 juin 2017

Roger Waters / "Mon disque et ma tournée sont un combat"


Roger Waters






Roger Waters

"Mon disque et ma tournée sont un combat"

Paris Match|
Sean Evans / Paris Match
L’ex-Pink Floyd n’avait pas sorti d’album depuis vingt-cinq ans. Pour « Is This the Life We Really Want ? », il a fait appel à Nigel Godrich, producteur de Radiohead et de Paul McCartney. L’occasion pour le musicien de signer un disque politique fort et émouvant. Rencontre.
Roger Waters est un gentleman, une légende du rock qui fait attention à ses interlocuteurs, prend le temps de répondre aux questions. En ce jeudi d’avril à New York, il a pourtant enchaîné trois jours de promo intense. Depuis le succès de la tournée « The Wall Live », l’ancien Pink Floyd a retrouvé une aura auprès du grand public comme des rock critics. Dire que son nouvel album était attendu serait mentir, aucun de ses disques solo n’ayant marqué l’histoire du rock. Waters sans un alter ego comme David Gilmour avait du mal à passionner les foules. Mais c’est finalement en acceptant son passé, avec des références musicales à son ancien groupe, qu’il signe son meilleur album. Et prouve qu’il est plus que jamais militant.
Paris Match. Nigel Godrich, votre producteur, est venu à Paris présenter votre album, et il a expliqué vos vingt-cinq ans ­d’absence en studio par le fait que vous aviez peur. Etes-vous d’accord ? 
Roger Waters. Peur ? De quoi ? Je ne vois pas. Vous savez, je n’écoute pas de disques chez moi, je ne connaissais pas son travail jusqu’à ce qu’il s’occupe du son de mon film autour de la tournée “The Wall Live”. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à lui faire écouter des musiques sur lesquelles je travaillais depuis un certain temps. Mais, au départ, je n’avais pas l’idée de faire un album avec lui. Donc je ne crois pas que la peur soit une motivation. 
Que vous a-t-il apporté ?
Il a une très bonne oreille, une manière intéressante de ­présenter les choses et, surtout, il connaît l’histoire de la musique ; il a une vraie vision de la structure qu’un disque peut avoir. Nigel m’a très vite alerté sur la durée de l’album, soulignant qu’à l’époque du vinyle chaque face ne pouvait contenir que dix-neuf minutes de musique. C’est pour cela que “The Dark Side of the Moon” ne dure que trente-huit minutes. Les CD peuvent contenir soixante-quinze minutes de musique, mais Nigel tenait à ce que “Is This the Life We Really Want ?” ne soit pas trop long.

Il vous a tout de même servi d’alter ego. Aviez-vous besoin de quelqu’un qui puisse vous dire “non” ?
Je suis plutôt du genre à ouvrir ma gueule quand ça ne me plaît pas. Mais puisque j’avais accepté l’idée de travailler avec lui, j’ai pris sur moi. Nigel a, par exemple, estimé que la chanson “Déjà vu” était trop longue. Il a donc viré toute la seconde moitié. Auparavant, je n’aurais pas laissé faire. Là, j’avais pris le parti de lui faire confiance… On ne pouvait débattre tous les jours, cela n’aurait mené à rien, même si parfois je ne sentais pas ce qu’il faisait. Du coup, j’ai appris à me taire, ce qui n’est pas du tout dans mes habitudes. Et, au final, je suis très content du résultat, je n’y serais jamais arrivé tout seul. 
Dans la première partie du disque, vous êtes très en colère contre l’ordre du monde. Dans la seconde, vous composez pour la première fois des chansons d’amour.
Je ne sais pas si je suis en colère. Je crois plutôt être en mouvement. Car, oui, j’ai rencontré l’amour et cela a eu un véritable effet sur ma vie. J’avais déjà connu cela dans mes relations ­passées, mais il semblait important de montrer ce que je peux ressentir. Pourtant, je ne suis jamais direct : quand je dis “ce serait mieux de mourir dans ses bras”, cela peut être dans les bras d’une femme, d’un enfant ou de la liberté.

Vous faites malgré tout souvent référence à “elle”…
Vous faites allusion à la chanson “Wait for Her”… Effectivement, je n’ai pas l’habitude d’être aussi intime. Mais la chanson est inspirée d’un poème de Mahmoud Darwich qui parle de l’attente d’une femme avant l’orgasme. Moi, je voulais ­plutôt souligner l’ouverture que l’on doit avoir envers le plaisir féminin, le potentiel que nous avons de faire l’amour naturellement. C’est aussi une manière de parler de l’engagement au-delà de la romance. Dans ma vie, j’ai connu quelques histoires passionnelles. Et il y a des choses bien plus fortes à apprendre dans ces moments que dans la souffrance éventuelle d’une séparation. Shakespeare l’a ­formulé depuis des siècles : “Il vaut mieux perdre un amour ­plutôt que de n’avoir jamais été aimé.” Je ne dis rien de nouveau… 
Vous militez donc pour la liberté des femmes ?  
Je milite pour la liberté en tant qu’idéal. Au milieu du XVIIIe siècle, grâce aux Lumières, nous avons compris que les êtres humains avaient des droits. En 1948, à Paris, les jeunes Nations unies ont prononcé la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui était vraiment révolutionnaire. C’est une idée qui n’a toujours pas été acceptée parce qu’elle dérange les riches et les puissants. Les réminiscences du système féodal font que personne ne veut que les dominés aient des droits. Les puissants désirent le retour au bon vieux système d’avant, celui où ils pouvaient paver les routes avec nos vies, car cela les arrangeait. Et il y a encore beaucoup de gens qui pensent ainsi.





Donc, il est plus que jamais temps de se battre, de se rebeller contre l’ordre établi ?
Evidemment ! Mais soyons réalistes, nous ne vivrons pas au-delà de 90 ans, si tout va bien. Nous ne verrons jamais les changements amorcés par notre société. Les révolutions ne se font pas en quelques mois. Notre brève durée de vie ne signifie pas que le monde ne changera pas. Nous sommes une poussière dans la vaste ­histoire du temps.
Vous n’êtes pas très optimiste…
Je ne sais pas si les idées finiront par vaincre. Pour l’heure, l’être humain a encore du mal à admettre sa condition. Notre futur ressemble peut-être à ce que Cormac McCarthy évoque à la fin de “La route” : un enfer apocalyptique, parce que ces connards de dirigeants refusent de voir que nous vivons dans un état de guerre permanent. Et cela est contre-­productif en termes de bonheur pour les êtres humains qui vivent sur cette putain de planète !
« Mon disque et ma tournée sont un combat contre la présidence de cet idiot de Donald Trump » Roger Waters
En tant que Britannique vivant aux Etats-Unis depuis quinze ans, pourquoi n’êtes-vous pas rentré chez vous après l’élection de Trump ?
[Il rit.] Rentrer pour retrouver Boris “fuckin’” Johnson, Nigel Farage ou Mme Theresa May, non merci ! Je reviendrai éventuellement pour retrouver des amis, pour la littérature, pour la chasse au renard également. Ou pour le ­cricket, la campagne anglaise, les bonnes manières, la décence dans les relations humaines. Tout cela a été écrasé par Mme Thatcher et M. Reagan, ces deux “inglourious bastards”. Nous payons la facture de cette époque qui a vu le massacre de la classe ouvrière, de la middle class et a eu des conséquences désastreuses sur toutes les économies de la planète. 
Vous ne vous sentez pas seul parfois à porter ces combats ?
Je ne suis jamais seul. J’ai eu assez d’amis dans ma vie pour partager mes idéaux. Vous êtes français, n’est-ce pas ? Vous devez savoir que j’étais très ami avec Etienne et Nadine Roda-Gil, des gens qui ont toujours compris ce que je défendais. Ce n’est pas rien d’avoir écrit ensemble un opéra sur la Révolution française. Etienne m’a laissé un mot que je porte toujours sur moi : “J’étais là, j’ai senti quelque chose et, peut-être, n’étais-je pas seul.” [Il rit.] Tout est dit. Il y a beaucoup de tristesse dans ce “peut-être”, mais il y a aussi beaucoup d’espoir. Et c’est ce en quoi j’ai envie de croire aujourd’hui.





Pourquoi le jour de l’investiture de Donald Trump avez-vous tweeté : “La résistance commence aujourd’hui” ?
C’était l’officialisation de ma bataille contre cet homme, avec ma tournée, avec mon disque. C’est dommage de devoir consacrer tant d’énergie à le combattre, mais c’est un idiot dangereux et incompétent. Il est si bête qu’il se croit important. Et regardez les premiers mois de sa présidence, il est déjà au bord de la destitution.
Donald Trump Junior est un grand fan de Pink Floyd et s’est rendu à beaucoup de vos concerts. Que ferez-vous s’il demande à vous rencontrer ?
Je ne sais pas ce qu’il aurait à me dire. Moi, je sais ce que je lui demanderai : “Qu’est-ce que cela fait d’avoir cet homme horrible comme père ?” J’imagine qu’il pense que c’est un type formidable et cool. Il y a trente ans, Trump traînait au Studio 54, parce que c’était l’endroit le plus branché de New York. Il pensait qu’il impressionnait la foule parce que tout le monde le regardait. Mais il n’a jamais compris que tous ces gens se foutaient ouvertement de lui : “Oh non, pas ce trou du cul…” [Il rit.] Il était déjà détesté, mais il était trop simplet pour le comprendre. 
La tournée qui vient de commencer sera-t-elle votre dernière ?
Probablement. Nous allons faire le tour du monde, j’espère arriver au bout…
Vous allez interpréter les chansons les plus connues de Pink Floyd. Etes-vous parfois triste de la manière dont le groupe s’est séparé ? 
Non. Absolument pas. J’essaie de vivre dans le présent, le plus possible. C’est une réponse un peu facile, mais c’est la triste vérité.
« Is This the Life We Really Want ? » (Sony Music), sortie le 2 juin.


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