On commémore en septembre les cent ans de la naissance de Roald Dahl, né au pays de Galles en 1916, mort en 1990 à Oxford, et qui laissa à l’humanité une bonne vingtaine de romans, recueils de nouvelles et autres récits à destination des enfants, des adolescents mais pas seulement. Même si on n’a pas forcément besoin de raisons pour lire ou relire ces livres, autant profiter de celles-là. Alors que les vacances commencent et que sort mercredi sur les écrans l’adaptation spielbergienne du Bon Gros GéantLibération s’est replongé dans quelques œuvres plus ou moins célèbres du Britannique et vous propose une sélection à glisser dans la valise des enfants. Comme il fallait faire un choix, les célébrissimes et délicieux Charlie et la chocolaterie ou James et la grosse pêche ne sont pas mentionnés… Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas s’y replonger aussi.

«Escadrille 80», la guerre vue du cockpit


On préfère généralement le premier volet des mémoires de Roald Dahl, Moi, Boy, notamment pour les horreurs qu’on y trouve sur les internats anglais. Mais la suite, Escadrille 80, est très bien aussi. Bizarrement, c’est un texte moins spectaculaire, alors qu’il s’agit en grande partie de la guerre – selon un point de vue imprenable, celui du cockpit. Roald Dahl ne revoit pas sa famille entre 22 et 25 ans. En 1938, il est l’un des patrons de la compagnie Shell en Afrique orientale. Il parle aux girafes, connaît (d’assez loin) une famille d’éléphants et un lion délicat. Il a beaucoup d’histoires de serpents à raconter – je crois qu’il s’oblige à les écrire tellement il en a peur. Quand la guerre contre «Bwana Hitler» est déclarée, il est chargé d’arrêter tous les civils allemands de Dar es-Salaam, c’est son premier fait d’armes. Puis il s’engage dans la Royal Air Force. Son mètre quatre-vingt-quinze n’est pas idéal pour un pilote de chasse, mais il aligne avec succès ses huit mois d’entraînement.
Le premier accroc vient quand on l’envoie rejoindre l’escadrille 80 dans le désert de Libye en lui donnant de mauvaises indications. Résultat, il a un accident et se réveille aveugle, le nez pulvérisé, à l’hôpital. A quoi pense un garçon qui reste sept semaines sur le dos sans bouger ? Peut-être à ce qu’il écrira plus tard. Une fois sur pied, il reprend du service, direction la Grèce. Deuxième erreur de commandement : cette campagne est un désastre. Mais le jeune Dahl fait son devoir, une notion qui n’est pas mise en avant dans le livre, et le guide pourtant tout entier. Cl.D.
Escadrille 80, Folio junior, à partir de 11 ans, traduit de l’anglais par Janine Hérisson et Henri Robillot, 8€50.

«Coup de gigot», intriguant polar 


Oubliez l’onirisme de Charlie et la chocolaterie, la magie de James et la grosse pêche, ou la fantaisie du Bon gros géant : avec Coup de gigot, Roald Dahl propose une nouvelle réaliste, maline et ultra-efficace. Comme elle ne fait qu’une trentaine de pages, on va éviter de spoiler, mais en gros, c’est l’histoire d’une femme, au foyer et enceinte, qui assassine son mari – lequel s’apprête à la quitter – et qui joue un tour, très, très malin, à la police venue enquêter. Avec son décor façon Desperate Housewives old school, Roald Dahl plonge son lecteur dans la vie d’un couple, en apparence des adultes bien comme il faut, ce qui a toujours quelque chose d’un peu fascinant pour les enfants et pré-ados. Si celui ou celle à qui vous destinez cette nouvelle, disponible avec 13 autres dans le recueil Bizarre ! Bizarre ! ou en version plus courte, aime les intrigues policières d’Agatha Christie, vous ne pouvez pas vous tromper. La nouvelle, pleine d’humour (noir), effleure également des questions plutôt audacieuses, comme celle de la peine de mort. En bonus, Alfred Hitchcock l’a adaptée en téléfilm,L’inspecteur se met à table… mais celui-là, vous pouvez peut-être le garder pour plus tard. K.H-G.
Coup de gigot et autres histoires à faire peur, Folio junior, à partir de 12 ans, traduit de l’anglais par Hilda Barbériset Elisabeth Gaspar, 3€.

«Les Deux Gredins», couple tordu


Compère Gredin et Commère Gredin forment un couple affreux, sale et méchant. On pourrait encore ajouter qu’ils sont bêtes à manger du foin, mais il n’est pas nécessaire d’alourdir davantage le dossier de nos deux fléaux. Lui, ce grand escogriffe tout voûté, on le reconnaît facilement à sa longue barbe fournie, crasseuse et malodorante, derrière laquelle il a pris l’habitude de stocker les restes de ses repas. Il y picore régulièrement des miettes de sardines et de vieux bouts de fromage. Elle, c’est un laideron édenté, coiffé comme un as de pique, et dont l’unique souci consiste à rendre chèvre son imbécile de mari. Au moment où nous faisons connaissance avec eux, il fait d’ailleurs vilain temps au sein du couple. Leur nouvelle dispute a pris la forme d’une série de coups particulièrement tordus distribués de part et d’autre : Commère Gredin a laissé tomber son œil de verre au fond du bock de bière de Compère Gredin. En retour, celui-ci a glissé un énorme crapaud au fond du lit de sa femme, qui lui a rendu la monnaie de sa pièce en lui servant au dîner un plat de spaghetti grouillant de gros lombrics.
Bref, c’est la marche à la guerre, et personne ne semble décidé à lâcher le morceau. Vivement la traditionnelle tarte aux oiseaux du jeudi, qui permettra certainement aux esprits de s’apaiser. Seulement voilà… dans le jardin, des chimpanzés ont pris possession de l’arbre qui sert à capturer la volaille. Sans oiseaux, pas de tarte. Il faudra donc déloger ces intrus. Un nouveau conflit se profile à l’ombre du grand chêne, et face à ces singes qui ne manquent pas de cervelle, les deux gredins semblent mal partis pour remettre la main sur leur territoire. F. Mo.
Les Deux Gredins, Folio junior, de 9 à 13 ans, traduit de l’anglais par Marie-Raymond Farré, 5€70.

«Matilda» contre-attaque


Matilda Verdebois a des parents qui n’arrêtent pas de la rabrouer. Son père, vendeur de voitures d’occasion qui les trafique pour gagner plus d’argent, la méprise et préfère son frère Mike un peu plus âgé. Le soir, sa mère, qui passe ses après-midi à jouer au loto, leur réchauffe des petits plats sous vide qu’ils sont obligés de manger devant la télévision en regardant des séries ineptes. A 4 ans, Matilda qui a appris à lire toute seule grâce au livre de cuisine de sa mère, découvre la bibliothèque de son village où elle dévore Dickens, Conrad, Hemingway et Stevenson. Un jour, son père lui prend son livre des mains et le déchire. Au lieu de pleurer, Matilda décide qu’il faut au contraire lui donner une bonne leçon. «La seule réaction sensée lorsqu’on était attaqué, c’était – comme disait Napoléon – de contre-attaquer.» A l’école, si sa gentille institutrice veut encourager le génie de Matilda, l’infâme directrice madame Legourdin considère les petits enfants comme des insectes qui «empoisonnent l’existence»… Bref, dans cet univers d’adultes, injuste et violent, l’intelligence de Matilda et une petite dose de magie seront les meilleures armes pour se battre. Ce roman culte de Roald Dahl publié en 1988, adapté au cinéma par Danny DeVito en 1996, donne du courage et du punch à revendre. F.Ro.
Matilda, Folio junior, de 9 à 13 ans, traduit de l’anglais par Henri Robillot, 8€50.

«Fantastique Maître Renard», Robin des souterrains


Oui, d’accord, il a un peu tendance à voler des oies et des poulets mais il est tellement cool, ce renard… Malin, rapide, mari aimant, père dévoué, un peu fanfaron, et plutôt drôle… Surtout par rapport aux trois affreux fermiers Boggis (les poulets), Bunce (les oies) et Bean (le cidre), prêts à défoncer une colline à coups de pelleteuse pour attraper le renard chapardeur, puis à mettre tous leurs employés en faction autour du terrier pour affamer la famille Renard. Impossible, du coup, de ne pas prendre le parti animal, d’autant que Renard prend bien soin de théoriser son combat auprès de Blaireau, guetté par les scrupules. «Connais-tu une seule personne qui ne chiperait pas quelques poulets si ses enfants mouraient de faim ?», argumente-t-il pour convaincre son «beaucoup trop honnête» ami. «Laissons-les être odieux s’ils veulent. Nous, ici sous terre, sommes de braves gens pacifiques.» Non content d’organiser astucieusement la survie de sa famille, l’animal profite de la bataille pour fédérer la rébellion des animaux souterrains et organiser leur survie. Car dans toutes les situations, Maître Renard à un plan… G. La.
Fantastique Maître Renard, Folio cadet, de 8 à 10 ans, traduit de l’anglais par Marie Saint-Dizier et Raymond Farré.

La chasse aux Sacrées sorcières


«Une vraie sorcière déteste les enfants d’une haine cuisante, brûlante, bouillonnante, qu’il est impossible d’imaginer. Elle passe son temps à comploter contre les enfants qui se trouvent sur son chemin. Elle les fait disparaître un par un, en jubilant». C’est par cette tirade angoissante que débute Sacrées Sorcières, haletant et amusant roman de Roald Dahl, qui raconte l’histoire d’un petit garçon d’origine norvégienne, orphelin de père et de mère, qui se lance dans une impitoyable chasse aux sorcières en Angleterre. C’est une question de vie ou de mort, vous me direz, car les sorcières sont si méchantes (surtout les British, de vraies garces), qu’elles ne pensent qu’à exterminer les enfants. Elles peuvent même les transformer en souris ! Mais comment les reconnaître, ces monstres qui prennent l’apparence de femmes comme vous et moi - conductrice de bus, secrétaire ou caissière dans un supermarché - et pourquoi pas votre institutrice ? Dans la galerie de détails peu ragoûtants qui nous aident à les identifier, sachez qu’une sorcière est chauve (donc sa perruque la gratte), qu’elle a le bout des pieds carré, la salive bleu myrtille et qu’elle porte des gants en toute saison, car elle n’a pas d’ongles. On frissonne tout au long du récit de cette aventure où un immense complot mondial de sorcières est sur le point d’être déjoué par notre intrépide héros, aidé de sa grand-mère norvégienne. On tremble, on rit, on s’inquiète, dans un habile dosage qui a fait depuis toujours la qualité des œuvres de Roald Dahl. Et comme toujours chez lui, on y trouve des détails qui jouent sur la connivence avec le jeune lecteur - exemple : on apprendra que plus on sent mauvais, moins on risque de se faire repérer par l’ennemie, ce qui fait dire à l’adorable grand-mère du héros, qui est si subversive qu’elle propose même à son petit-fils de goûter un cigare : «Les enfants ne devraient jamais prendre de bains. C’est une habitude dangereuse». Au-delà de la qualité de l’intrigue, Sacrées sorcières a le mérite de traiter habilement la question de la prédation : comment aider les enfants à évaluer le danger ? Il s’agit ici de faire comprendre au jeune lecteur qu’il ne faut pas accepter n’importe quoi de la part de n’importe qui, et de valoriser ainsi son sens de l’observation et la finesse de son jugement : autrement dit, ne pas systématiquement faire confiance à n’importe qui, fût-ce une gentille dame avec un chapeau qui vous tend un bonbon dans le jardin. Mais pourquoi porte-t-elle donc des gants alors que nous sommes en juillet ?J.L.
Sacrées sorcières, Folio junior, traduit de l’anglais par Marie-Raymond Farré. Illustrations de Quentin Blake. 8€50.
A noter également, la sortie d’un hors-série du magazine Lire très complet Roald Dahl, le géant de la littérature jeunesse.