Après un premier tirage de 43 000 exemplaires, il a été nécessaire de réimprimer deux fois le nouveau livre du Japonais Haruki Murakami, Des hommes sans femmes, sorti le 2 mars. Dans une période peu favorable à la fiction, et sur un marché français réputé rétif aux nouvelles, ce recueil a rencontré un succès inattendu, même pour l’auteur de 1Q84. Pas la peine de chercher loin pourquoi ça marche : les sept histoires qu’il contient sont excellentes. 73 000 exemplaires sont actuellement en circulation. Ventes nettes après trois semaines d’exploitation : 20 000.
Où sont passés les chats ?
Il y a ici moins de chats que dans Kafka sur le rivage, mais il en est un néanmoins, qui adopte le bar de Kino dans la nouvelle éponyme. Kino est un ancien champion qui, ne pouvant plus courir, a travaillé dix-sept ans dans une société d’articles de sport où il a été heureux. C’est le genre de détail que Murakami donne dans ses récits, comme une ligne de fuite, un pas de côté qui rend la fiction plus légère et plus solide en même temps. Puis Kino a surpris sa femme dans les bras d’un autre. Alors il est parti, et il a pris ce bar, qu’on appelle désormais le Kino. Il compte deux habitués : un curieux type qui vient lire en buvant du whisky. Et le chat. «Il n’est pas impossible que ce chat ait été porteur de bonnes ondes, car, peu à peu, des clients se mirent à fréquenter le Kino.» Vint à l’inverse un jour funeste où le chat s’éclipsa plus longtemps que d’habitude. Puis disparut. «Puis des serpents commencèrent à se montrer.» Quant à Kafka, il est dans la nouvelle qui suit «Le bar de Kino». Ou, sinon Kafka, du moins «Samsa amoureux», un Gregor sans défense qui découvre un monde nouveau en se réveillant, et une émouvante petite serrurière bossue.
Qu’en est-il de l’amour ?
Chaque histoire confronte un homme et une femme, en proie à l’amour, aussi ne faut-il pas se méprendre sur le titre. L’explication est donnée dans la dernière nouvelle, celle qui justement donne son titre au recueil : «Il est très facile de devenir des hommes sans femmes. On a juste besoin d’aimer profondément une femme et que celle-ci disparaisse ensuite. En général (comme vous le savez), elles auront astucieusement été emmenées par de robustes marins.»Un acteur raconte sa vie à son chauffeur qui se trouve être une conductrice. Un garçon propose à son meilleur copain de sortir avec sa petite amie. Un chirurgien obsessionnellement organisé et célibataire perd la tête pour une menteuse. Une Shéhérazade agent de liaison raconte des histoires de lamproie à l’individu cloîtré à qui elle rend visite. Un homme apprend en pleine nuit le suicide d’une ex. Les schémas, naturellement, ne sont jamais les mêmes.
Murakami est-il toujours le plus occidental des Japonais ?
On ne s’aventurera pas sur ce terrain polémique. On se contentera de relever les nombreuses références au cinéma américain et français (Woody Allen, François Truffaut), à la musique (on n’entend que du vieux jazz dans le bar de Kino, une nouvelle s’appelle «Yesterday» en hommage aux Beatles), et à la littérature : il est question de Franny et Zooey de Salinger. La capacité de souffrir ne connaît pas de frontières ni d’Etats. Pour l’homme amoureux des femmes, son vaste appétit est égal à l’univers.
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