Jeanne Moreau |
Jeanne Moreau, son partenaire à l'écran le devenait souvent dans la vie
Paris Match|
Jeanne Moreau était, certes, une croqueuse d’hommes, mais à chaque fois elle se donnait vraiment
Jeanne était une sorte de tornade, l’amoureuse dont tout jeune homme rêve. » C’est Sacha Distel qui parle. Très bel homme au sourire à fossettes, aux yeux bleus irrésistibles, il les fait toutes succomber en ces années 1960, de Gréco à Bardot et même Audrey Hepburn. Mais Jeanne… Jeanne est hors norme. Musicien de jazz, il vient de se faire plaquer par Juliette Gréco, raptée par le producteur Darryl Zanuck, et promène son spleen sur le boulevard Saint-Germain à Paris. Tout sauf envie de draguer. Sauf que le regard de Jeanne… Electrisé, il se renseigne : Ray Ventura lui apprend que c’est une actrice, il l’a même coproduite. Elle a cinq ans de plus que Sacha. Et dix ans de réputation au compteur. Emoustillé, le jazzman arrache son numéro de téléphone. Il n’en dort plus. Tôt le matin, il lui passe un coup de fil. Elle décroche. Voix rauque : « J’attendais votre appel ! » Une alchimie. Ils se retrouvent, foncent se cacher au Grand Hôtel de Cabourg. Il y a urgence. Ç’aurait pu être Aubervilliers. Enfermés tout le week-end dans la chambre. Très occupés. Six mois de frénésie charnelle. Mais pas seulement. Elle va le pousser à lire les auteurs. Quand elle lui annonce un jour, sans explications, que c’est fini, il est sonné. Ça se passe comme ça, avec Jeanne. « Oui, j’ai vécu comme un garçon, confiera-t-elle. J’ai eu des aventures, des amants, et je pars quand j’en ai envie. » On se perd dans le décompte de ses boyfriends. Et des autres, fous d’elle, mais qu’elle n’a pas choisis. Orson Welles, par exemple : « Tu n’as rien vu », lui reprochera-t-il.
La première vraie scène d'amour du cinéma
Celui qu’elle n’a pas raté, en revanche, c’est le cinéaste Louis Malle. « Une grande passion », dira-t-elle. Pour lui, elle jouera la première vraie scène d’amour du cinéma. Qui apparaît pudique aujourd’hui, mais, à l’époque, cette séquence de baisers parachève l’aura sensuelle de l’actrice. Est-ce sa bouche, pulpeuse comme un fruit mûr ? Ses regards coulés entre ses longs cils ? Sa voix tantôt profonde et suave, tantôt vive et autoritaire ? Ou son corps, fin, nullement la volupté affichée des starlettes de l’époque ? Pierre Cardin se souvient : « Elle était menue, les hanches très étroites, pas du tout la silhouette des autres vedettes. » Un grand amour, lui aussi, et qui dura plus longtemps que les autres, cinq ans, en dépit de son homosexualité. « J’avais vu “Les amants”, confiait Pierre à Henry-Jean Servat dans Paris Match en 2001. Tout le monde était amoureux de Jeanne Moreau dans ce film. Je l’ai désirée. » Oui, entre le jeune couturier homo déclaré et la croqueuse d’hommes, ce fut aussi une affaire sexuelle.
La vigoureuse Jeanne n’était pas du genre à sublimer la relation dans une communion mentale. « Je suis d’abord tombée amoureuse de Pierre à travers ses robes, sans le connaître », insistera-t-elle. Mais quand elle le voit apparaître à la fin du défilé… « Alors là, quelle allure ! Je l’ai immédiatement trouvé magnifique ! Ce qui m’a plu, ce sont ses mains. Des mains d’artisan. » Il rectifie : « De travailleur ! » Deux autodidactes animés par leurs passions. Il est fils d’agriculteurs vénitiens précipités dans la misère par la Première Guerre mondiale, qui ont émigré en France en 1920. Il commencera comme apprenti chez un tailleur. Elle, Jeanne : fille d’un gérant de resto de nuit à Paris, A la cloche d’or, qui existe toujours rue Mansart, et d’une danseuse anglaise des Folies-Bergère. Comme Cardin, elle s’est faite toute seule, auditrice à la Comédie-Française, puis passant le concours du Conservatoire en cachette de ses parents.
Sa grande culture, son ouverture intellectuelle, elle les a acquises seule, dotée d’une excellente mémoire. « A Pierre, je racontais mes lectures. Il me transmettait, lui, sa vision du monde, sa connaissance des lieux. L’Italie, Venise. J’adorais sa finesse et son raffinement. » Elle a aussi adoré son physique, nullement rebutée par les commentaires. « Il est homo, tu n’arriveras à rien ! » Mais ce que Jeanne veut… « Je l’ai littéralement poursuivi. Je cherchais à savoir en permanence où il allait, ce qu’il faisait. Je remuais ciel et terre ! » Un jour, en partance pour le festival shakespearien de Stratford-on-Avon, il tombe sur elle à l’aéroport d’Orly. Après avoir réservé sur tous les vols, elle réussit à embarquer sur le même que lui ! Elle en riait : « A l’hôtel, je me suis débrouillée pour avoir la chambre voisine de la sienne. Et… à peine posé ma valise sur le lit, j’ai fait le premier pas ! » Ont-ils eu le temps d’aller voir jouer Shakespeare ? Au fil du temps, ils ne seront jamais très loin l’un de l’autre. Des années plus tard, il évoquera le fait qu’ils auraient pu avoir un enfant. Elle l’a dit : « Je n’ai pas la fibre maternelle. Je n’aurais pas dû avoir d’enfant. » En 1949, elle a eu un garçon de son premier mariage avec le cinéaste Jean-Louis Richard. « J’ai accouché en deux heures. Et sans péridurale, à l’époque ! » Elle tourne la page bien vite et reprend le chemin des plateaux moins de trois semaines après.
Une maman comme les autres
Entre sa grand-mère et ses nounous, le petit Jérôme Richard mettra longtemps à se faire à l’idée que sa mère n’est pas une maman comme les autres. En proie à de multiples addictions, il a fini par évacuer ses frustrations dans la peinture. Et là, maman s’avoue très fière. « Il s’est nourri de ses souffrances, c’est la preuve que c’est un créateur ! » s’enthousiasme-t-elle, bien plus à l’aise avec l’artiste adulte qu’avec l’enfant qu’il était. Jérôme a pourtant failli mourir, vers 10-12 ans. Accident de voiture pendant un tournage, avec Belmondo au volant. Treize jours de coma pendant lesquels Jeanne, affolée, ne décolle plus de son petit lit d’hôpital. Il y a mille façons d’aimer. Le garçon va s’en sortir. Et elle, reprendre le tourbillon de sa vie. A propos de Belmondo, justement, avec lequel elle joue « Moderato cantabile », un photographe témoigne, hilare : « On était à l’hôtel, on jouait au poker en bas. Elle se penchait par-dessus la balustrade : “Tu viens bientôt ?” » Pour Jeanne, le désir n’attend pas. Une femme libre, à l’écoute de ses pulsions. Mastroianni – qui a bien connu, lui aussi, sa « gourmandise » – analysait : « Elle était tout le temps à la recherche de l’amour. Et ensuite, elle laissait ses victimes sur le bord de la route. » Romantique Marcello. A sa manière, elle est fidèle. Et ne supportera pas les inconstances de Georges Moustaki, grand amoureux des femmes devant l’Eternel.
Il en est un qui a failli vaincre cette séductrice au bel appétit. C’est son deuxième mari, épousé en 1977, William Friedkin, le réalisateur américain de « L’exorciste ». Lui à New York, elle à Paris, ç’aurait pu être la relation idéale. Mais non. Il est d’une possessivité maladive : « Il ne voulait pas que je travaille, sauf à me faire appeler Jeanne Friedkin ! Il m’avait mis un chauffeur à disposition, en réalité un malabar qui me surveillait. Et quand Bill a senti que j’allais partir, il m’a fait voler mon passeport ! » Avec son emprise diabolique, ce pervers a failli la détruire : « J’ai mis sept ans à me reconstruire. J’avais pris treize kilos », confiait-elle à l’écrivaine Madeleine Chapsal dans Match. Elle a fini par s’en sortir grâce au théâtre. Jeanne Moreau était, certes, une croqueuse d’hommes, mais à chaque fois elle se donnait vraiment.
En 1964, face à l’un des plus convoités, Jean-Louis Trintignant, elle joue Mata Hari devant… et derrière la caméra ! Imperturbable, son ex-mari cinéaste, Jean-Louis Richard, enchaîne les scènes. Il connaît sa Jeanne !
Ingénue, elle observe : « Avec mes yeux cernés, ma bouche tombante, je ne me suis jamais prise pour une beauté. Je ne faisais rien pour attirer les regards… » Enfin, ça dépend. Avec Tony Richardson, c’est vrai, elle n’avait rien demandé. Elle a pourtant bel et bien « volé » le mari (bisexuel !) de Vanessa Redgrave. Il va quitter sa femme, attiré par la sulfureuse héroïne de « Jules et Jim », en 1967. Ensuite, cette diablesse de Française l’abandonnera pour un jeune marin de treize ans son cadet !
En 1964, face à l’un des plus convoités, Jean-Louis Trintignant, elle joue Mata Hari devant… et derrière la caméra ! Imperturbable, son ex-mari cinéaste, Jean-Louis Richard, enchaîne les scènes. Il connaît sa Jeanne !
Ingénue, elle observe : « Avec mes yeux cernés, ma bouche tombante, je ne me suis jamais prise pour une beauté. Je ne faisais rien pour attirer les regards… » Enfin, ça dépend. Avec Tony Richardson, c’est vrai, elle n’avait rien demandé. Elle a pourtant bel et bien « volé » le mari (bisexuel !) de Vanessa Redgrave. Il va quitter sa femme, attiré par la sulfureuse héroïne de « Jules et Jim », en 1967. Ensuite, cette diablesse de Française l’abandonnera pour un jeune marin de treize ans son cadet !
Les jeunes gens, elle n’a jamais dit non. Elle qui, à la suite d’un cancer de l’utérus, s’est retrouvée ménopausée à la trentaine, vieillie prématurément, eh bien, elle ne cache pas son âge. « J’ai trop vu dans ma jeunesse des actrices auxquelles on donnait dix ans de plus. Alors moi, je dis mon âge, c’est plus clair. » Et certains jeunes hommes craquent, comme l’acteur Pierre-Loup Rajot en 1987. Il a la trentaine ; elle, la cinquantaine. Sa copine Marguerite Duras est bien en couple avec Yann Andréa, une trentaine d’années de moins. Des pionnières qui assument. A Aurélie Raya, pour Paris Match, Jeanne Moreau racontait ses virées alcoolisées avec « Margot ». Elles finissaient dans les bars de routiers aux portes de Paris. Une jouisseuse. Elle savait boire. Mais aussi cuisiner. Au chroniqueur gastronomique François Simon, elle confiait une de ses dernières recettes, un potage aux petits pois : « Je fais cuire les cosses et je les passe au mixeur avec une pointe de gingembre. C’est divin. » En connaisseuse, cette piquante ajoutait : « J’ai une prédilection pour les poivres. »
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