vendredi 26 janvier 2018

Chronique Livre / Après et avant Dieu d'Octavio Escobar Giraldo



Publié par Dance Flore le 11/01/2018

L'auteur

Octavio Escobar Giraldo est né à Manizales (Colombie) en 1962. Après des études de médecine, il se consacre à la littérature qu’il enseigne, à présent, à la faculté de Caldas. Il est l’auteur d’une dizaine de romans et de nombreux recueils de nouvelles et de poèmes qui lui ont valu les plus hautes distinctions dans son pays et notamment le Prix national du roman 2016 pour Après et avant Dieu.

En bref

« … le Greco est sinistre et ses couleurs ont dû naître de péchés jamais pardonnés. Il était grec. »
La Colombie. Dans la vaste demeure bourgeoise où vivent désormais la mère et la fille, secondées par une servante indienne, soudain, un drame. La fille larde la mère de plusieurs coups de couteau sous les yeux de Dieu en personne qui va avoir un mal de chien à accorder de nouveau sa confiance à sa brebis très égarée, après ce test si abominablement raté.
Surtout qu'il y avait déjà le père mort, homosexuel tardif, les comptes de l'agence immobilière, complètement véreux, la baisse conséquente du capital et la découverte par la fille maintenant matricide de l'amour charnel dans les bras de la bonne. Ça fait pas mal de petites cases infernales cochées, ça, dites-moi.
Heureusement, il y a la cavale... et la prière.

Un peu, pour voir

«  Quand je revins dans la chambre, le blanc avait redonné à ma mère son apparence virginale. En dépit des traces de sang sur le dessus-de-lit, de l'expression douloureuse de sa bouche, de la saleté de ses plantes de pied, c'était à nouveau la femme que tout le monde admirait et aimait, celle qui donnait à chaque acte de nos vies une touche de distinction et de beauté. Je m'approchai pour embrasser ses lèvres encore tièdes. Un moment je crus qu'elle allait ouvrir les yeux. C'était la première fois que je l'embrassais sur la bouche. Je glissai le crucifix entre ses doigts. Son alliance était incrustée dans son index gauche. Bibiana m'observait, droite dans sa robe aux couleurs délavées qui lui tombait un peu plus bas que les genoux. Son visage avait pris tout à coup l'apparence de ces masques résignés qui remplissent nos livres d'histoire et nos musées. Heureusement, sa jeunesse était plus forte que ses traits indigènes et son expression pieuse me donna envie de pleurer.
- Apportez l'autre chandelier. Nous allons la veiller.
- Pauvre Madame Carmelita, dit-elle.
J’acquiesçai, consciente de ma culpabilité.
- Nous allons beaucoup prier. Nous allons beaucoup prier pour elle et aussi pour nous.
Il était neuf heures du matin du premier dimanche de janvier. » ( p. 10 et 11)

Ce que j'en dis

Manizales : sa feria, sa ligue fasciste, son prêtre véreux, ses clubs dispendieux où se réunit la fine fleur de la haute bourgeoisie, ou qui feint encore de l'être après des placements illicites fort dangereux, sa bonne société qui se masse à la messe, égraine les rosaires et ne se mélange pas aux Indiens, quelle idée enfin voyons.
À la mort de son père, quinze ans auparavant, un père qui, soit dit en passant, s'est découvert, sur le tard une passion plutôt pour les hommes, la mère, Mme Carmelita, et sa fille – narratrice dont nous ne saurons jamais le prénom -, décident de continuer à s'ocuper des affaires de la grande agence immobilière ayant pignon sur rue à Manizales. Mais voilà, l'héritage est moins conséquent que prévu... D'ailleurs tout, dans cette bonne société colombienne, n'est qu'apparence, et la réalité est nettement moins belle qu'elle n'y paraît.
Pour se renflouer vite fait, la narratrice, à l'insu de sa mère qui a décidé, finalement, de se consacrer à de grandes entreprises de charité qui coûtent tout l'argent qu'elles n'ont pas mais donnent l'illusion qu'elles en ont, - élément de subtilité !!! - prend des risques financiers avec l'aval des banquiers dont le sourire s'est vite effacé au vu des résultats catastrophiques. Afin d'enrayer la débâcle financière, elle accepte d'investir dans le plan, qui s'avèrera une escroquerie, bien sûr, proposé par le prêtre de sa paroisse, Daniel Ardila, un homme très sensuel, beau et à la voix de baryton qui lui permet avec la même aisance de chanter à la messe ou « un air romantique à ses heures moins pieuses ».
Il la convainc d'aider d'autres bonnes familles pieuses plutôt désargentées, un service à se rendre entre gens de la même classe sociale, en fait. L'archevêque lui-même va apporter sa bénédiction à l'opération, c'est dire avec quelle facilité Ardila emporte l'adhésion de la narratrice, qui a un impérieux besoin d'argent, maintenant que sa mère s'est mise en tête de dépenser des sommes faramineuses pour acheter son salut dans l'au-delà. Un investissement, celui-ci, dont elle va avoir tout intérêt, et plus rapidement que prévu, à ce qu'il ne soit pas une vaste arnaque.
Madame Carmelita, une femme jadis très belle, entretient des rapports complexes avec sa fille avec qui elle dit le rosaire tous les jours à heure fixe mais qu'elle accuse, à cause de sa laideur, d'être la raison de la défection de son père... il faut dire que la narratrice est très laide, souffre d'hirsutisme en plus d'avoir un corps malgracieux et masculin.
Elle est peu amène, mal à l'aise en général avec les autres qu'elle soupçonne d'être prévenus contre elle à cause de son apparence peu flatteuse. Elle a une amie, sa comptable, Albita, une camarade de collège qui couvre ses agissements délictueux. La narratrice se débat en cachette de sa mère dans la situation désespérée dans laquelle elle s'est bêtement mise, avalant force pilules contre l'acidité gastrique et faisant bonne figure à l'agence comme à la maison. Cependant, voilà que sa mère découvre tout. Bien entendu, s'ensuit une algarade et tout d'un coup, le meurtre. Un matricide, rien de moins. Quatre ou cinq bons coups de couteau dans le dos, et voilà, le tout est joué. Certes, ça fait taire la mère, mais le regard de Dieu, pour silencieux qu'il soit, n'en reste pas moins pesant. Il pardonne à tous, mais il faut en être digne.
Avec l'aide de la bonne, Bibiana, une jolie fille indienne venue d'un patelin rural faire le ménage chez les riches, elle couche Madame Carmelita sur son lit, lui passe une robe blanche et la veille en priant.
Mais il faut agir vite, car, bien que ce soit la feria, il ne se passera que peu de temps avant que l'on comprenne ce qui s'est passé. Les tantes fouineuses et envahissantes appelleront vite la police et tout sera découvert très vite.
Elle a un plan tout simple : fuir et se cacher dans le logement inoccupé d'un client de son agence immobilière, un type fou de Rommel. C'est une simple cabane en préfabriqué, au milieu de rien, personne n'ira la chercher là. Ensuite ? Dieu y pourvoiera certainement.
Enfin LES chercher là. Car il faut compter avec Bibiana...
Elle est bien jolie Bibiana, et délurée aussi, elle n'aime pas les hommes assure-t-elle à la narratrice au cours d'un goûter pris chez elle, dans son petit logis minable, avec une lueur indiscutable dans les yeux...
Donc, je résume : matricide et désargentée, bien qu'extrêmement pieuse, formant un couple désassorti avec sa bonne, la narratrice va chercher à se cacher le temps que les choses se tassent dans une petite cabane appartenant à un de ses clients professeur d'histoire et dingue d'un haut dignitaire nazi.
Elle a réussi à emporter une bible avec elle, ses bijoux ainsi que l'argent qu'elle a trouvé sous le matelas où sa mère l'avait caché, sans aucun doute pour le soustraire à sa fille et le consacrer à Dieu...
Tout se passe à peu près comme prévu, la cabane est immonde, mais supportable. Comme la région est sous le contrôle d'un groupe paramilitaire financé par les éleveurs pour les protéger de la guérilla, elles sont bien tranquilles et s'ennuient avec plus ou moins d'entrain, la grande bourgeoise hommasse pieuse et la petite indienne amoureuse exhibitionniste.
On n'est jamais trahi que par les siens, c'est pas Jésus qui va dire le contraire, et l'oncle Annibal, le frère de son père défunt, avec l'aide de ses sbires dont les plus fiables sont muets, forcément, va les retrouver, et prendre les choses sérieusement en main.
Quel roman ! Quelle verve ! Tout le monde en prend pour son grade, Giraldo n'épargne rien ni personne ! Les bourgeois corrompus jusqu'à l'os, avides de fric, tout pétris de religion pour la galerie mais inscrits aux ligues fascistes, maintenant les apparences pour ne pas déchoir de leur rang ! Le prêtre, qu'on devine sensibles aux charmes féminins, prête la main aux arnaques, sa parole mielleuse déguise ses intentions coupables. Les propriétaires terriens paient des milices pour les protéger de la guérilla. La société est infiniment inégalitaire et raciste et les Indiens sont méprisés. Au sein même des grandes familles bourgeoises, sous des dehors puritains, les mœurs sont loin d'être chastes ni véritablement charitables, les apparences toujours. L'oncle Annibal est le personnage le plus effrayant de tous, totalement au-dessus des lois, arrosant qui il faut pour obtenir ce qu'il souhaite, les rouages habituels de la corruption généralisée et lubrifiant habituel.
La narratrice est particulièrement intéressante, toujours en négociation avec elle-même et avec ce Dieu qui tarde à se manifester, sauf par des tests toujours plus pénibles. Elle est tour à tour ironique et candide, de mauvaise foi et touchante, souvent leurrée croyant leurrer. Son duo avec Bibia est drôle et tendre, la narratrice ne baissant jamais véritablement sa garde, les apparences toujours...
Un voyage en Colombie drôle et farfelu teinté de noir bien sombre.

La musique

Principalement de Miguel Bosé puisqu'outre les deux titres ci-dessous, vous trouverez Linda et Amiga dans le roman.
Miguel Bosé - Morir de amor
Miguel Bosé - Creo en ti
Deep Purple - Burn

APRÈS ET AVANT DIEU - Octavio Escobar Giraldo – Éditions Actes Sud – 192 p. novembre 2017
Traduit de l'espagnol (Colombie) par Anne Proenza



RIMBAUD
Octavio Escobar / Après et avant Dieu


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