dimanche 21 janvier 2018

Collonges, ses femmes, ses héritiers / La galaxie Paul Bocuse



Collonges, ses femmes, ses héritiers : la galaxie Paul Bocuse

Claire Mione | Le 20 janvier 2018


Paul Bocuse s'est éteint à l'âge de 91 ans. Chef brillant, grand séducteur, homme d'affaires chevronné et éternel farceur, retour sur la vie hors norme de l'icône mondiale de la gastronomie française.

Collonges, son port d’attache


L'Auberge du Pont de Collonges s'appelait autrefois l'Hôtel du Pont. La maison familiale, où le chef est né, appartenait à l'époque à François et Françoise Roulier, les beaux-parents de Georges Bocuse, le père de celui qui deviendra «Monsieur Paul». En 1956, à 22 ans, le jeune Paul vient seconder son paternel, après son apprentissage chez la mère Brazier et quelques expériences dans des cuisines parisiennes. Il propose une cuisine élaborée à partir des ressources du terroir. Deux ans plus tard, il décroche son premier macaron au Guide Michelin ; le second suivra en 1962. La consécration arrive en 1965, lorsque Paul Bocuse rejoint le cercle prestigieux des «trois étoiles», étoiles que L'Auberge du Pont de Collonges n'a jamais perdues (en 2015, l'établissement célébrait ses «50 ans de trois étoiles»). Si Paul Bocuse a beaucoup voyagé et ouvert de nombreux restaurants aux quatre coins du globe, Collonges reste le centre de son monde. «Je vis dans cette maison, j'habite toujours dans la chambre où je suis né», expliquait-il avec fierté en 2010, à la Radio-télévision suisse (RTS) (1).


La soupe V.G.E., son plat culte

C'est dans les cuisines de l'Auberge que Paul Bocuse met au point quelques-unes de ses recettes signature. La fricassée de volaille de Bresse aux morilles, le filet de sole aux nouilles, le loup en croûte feuilletée… Et la soupe V.G.E., créée en 1975 pour l’Élysée, et toujours à la carte du restaurant triplement étoilé. De loin le plat le plus illustre du chef. Il servit cette soupe aux truffes coiffée d’un généreux feuilletage à Valéry Giscard d'Estaing, qui venait de lui remettre la légion d'honneur. Au président qui se demande comment faire pour savourer sa soupe aux truffes parfaitement scellée, Paul Bocuse répondra avec cet humour qui était aussi sa signature : «Cassez la croûte, Monsieur le président !» (2).

Un bon camarade, jamais à court de blagues

Sa légion d'honneur, Paul Bocuse la doit d'ailleurs à un canular. Le site Les Carnets de voyages de Paul Bocuse relate une anecdote méconnue du grand public (2). «Au cours de l’année 1975, Paul Bocuse reçoit une lettre sur papier à entête de l’Élysée lui annonçant que le président en personne lui remettra la légion d’honneur. La signature "Valéry Giscard d’Estaing" semble affirmer le caractère officiel de cette lettre. De quoi ravir Paul Bocuse… sauf qu’il s’agit d’une farce réalisée par l’un de ses amis. Le président, alors informé de cette farce joue le jeu et récompense le chef quelques semaines plus tard», peut-on lire. Ces plaisanteries sont légion entre le chef et ses comparses, les frères Jean et Pierre Troisgros, camarades de toujours rencontrés chez Fernand Point. Ensemble, ils font les 400 coups, comme le rapporte Atabula (3). Crâne récupéré dans les catacombes, introduit en douce dans la marmite de sauce, oiseaux assommés avec des boîtes de caviar puis lâchés en cuisine une fois réveillés, espadrilles clouées... Les histoires ne manquent pas. L'amitié est au centre de la vie de Paul Bocuse. «Mon plaisir ? Partager le saucisson avec des copains, et un verre de mâcon. C’est irremplaçable», nous confiait-il en 2007.

L'homme qui avait trois femmes



Les femmes aussi occupent une place importante dans la vie - hors norme - du cuisinier. Paul Bocuse ne cache pas qu'il partage son quotidien entre trois compagnes. Il rencontre d'abord Raymonde, une jeune femme blonde alors âgée de 16 ans, avant la guerre. Après un mariage en 1946, ils auront une fille, Françoise, l'année suivante. C'est Raymonde qui, en dehors de la cuisine, tient les rênes de L'Auberge du Pont de Collonges.
Raymone est la deuxième femme de sa vie. Cette directrice de clinique lui donnera un fils en 1969, Jérôme Bocuse, lui-même cuisinier, à la tête de l'empire familial depuis l'année dernière. Patricia arrive dans la vie du chef en 1971. Elle fonde la société Produits Paul Bocuse et gère l'image du chef. Sa fille, Ève-Marie, collaborera avec son beau-père sur son ouvrage autobiographique (4) dans lequel il confie, non sans malice : «Si je calcule le nombre d'années où j'ai été fidèle aux trois femmes qui ont compté dans ma vie, j'arrive à 135 ans de vie commune». Dans le même livre il ajoutera, plus grave : «Je ne regrette rien, sauf peut-être la peine que j'ai pu faire aux femmes de ma vie. J'espère qu'elles me pardonneront». En plus de Raymonde, Raymone et Patricia, on lui connaît de nombreuses conquêtes.

Les héritiers de Paul Bocuse

Paul Bocuse, enfin, aime transmettre. L'empereur de la cuisine a formé des centaines de chefs, obsédé tout au long de sa vie par le partage. C’est pour cette raison qu’il monte l’Institut d’Écully : des individus du monde entier s’y pressent pour apprendre les bases de la cuisine traditionnelle française. C’est pour cette raison, aussi, qu’il crée sa fondation ou encore le concours de cuisine international Le Bocuse d’Or. «J'ai beaucoup de chance. Dans le monde aujourd'hui, on peut trouver des petits Bocuse qui sont devenus de grands cuisiniers. C'est mon plus grand plaisir», confiait-il en 2010 (5). Marc Haeberlin, Pierre Orsi, Christophe Muller… Impossible de citer tous ces «petits Bocuse» qui continueront, pourtant, de faire vivre la mémoire du chef le plus illustre de France.
(1) (5) Émission à retrouver en intégralité sur www.rts.ch.
(2) Lescarnetsdevoyage.bocuse.fr.
(3) www.atabula.com.
(4) Paul Bocuse : Le feu sacré, de Ève-Marie Zizza-Lalu, éditions Glénat, 222 pages, 45,50 €.



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